Shamy Chemini revient sur son itinéraire : « Je me suis toujours senti Kabyle et rien d’autre »

CULTURE (SIWEL) — Enfant des montagnes de Kabylie, né en octobre 1944 à Tilatiouine commune Legradj et berger jusqu’à l’âge de dix-huit ans, je crois nécessaire de me présenter à ceux qui ne me connaissent pas comme personne publique. On peut se tromper sur un artiste si l’on méconnaît le cheminement de son existence.
Mon père, en 1945, a été emprisonné une année en compagnie de Ferhat Abbas et Boumaza, suite aux événements de Sétif, Guelma et Kerrata. Il a ensuite commencé la lutte pour l’indépendance de l’Algérie jusqu’en 1962. Il était parmi les dix personnalités les plus importantes de la Fédération de France.

À l’âge de treize ans, j’ai été torturé par des Harkis engagés dans l’armée française. Suite à ces blessures, cinq ans plus tard, j’ai été opéré trente-deux fois à l’hôpital de Garches, en France. J’ai commencé une scolarité à vingt et un ans par des cours du soir et en dix ans, j’ai obtenu cinq diplômes dont le dernier était le brevet de technicien supérieur en électronique.

Les Abranis

En 1967, j’ai cofondé avec mon ami Karim Sid Mohand Tahar Abdenour, le groupe Les Abranis. Ensemble, nous avons porté la chanson kabyle de haut niveau dans le monde entier. Grâce à nos efforts, sans aucune aide, l’Algérie a bénéficié de notre aura, bien que le dictateur H. Boumediene ait tout fait pour nous briser. En septembre 1975, les autorités m’ont emprisonné à Sidi Aïch …

Les œuvres parues des Abranis m’appartiennent en tant que producteur. Pour les compositions, elles sont essentiellement de Karim et moi-même. Les textes sont en grande partie de Si Mohand Ou Mhand, une autre partie à Karim et quelques-uns de moi.
Jusqu’en 1993 nous avons fait des tournées internationales avec le groupe, puis je me suis consacré à la littérature.

Acteur culturel

J’ai également été co-fondateur de quatre radios libres dont radio Gilda, radio Afrique, radio berbère, radio Tiwizi.
J’ai réalisé un téléthon en 1999 suite au tremblement de terre à At Wartilan où nous avons collecté 160 millions de centimes que j’ai remis moi-même aux personnes sinistrées

Les œuvres écrites, romans, contes, les documentaires*

J’ai écrit cinq tomes de la saga romanesque « Orgueilleuse Kabylie » entre 1993 et 2001. Parallèlement, des contes en livres et CD, des prénoms kabyles et deux documentaires ont été édités. Plus récemment, les romans « La Fiancée du Soleil » et « Honfleur au cœur » ont complété la liste d’environ quatre-vingts œuvres qui ont enrichi le patrimoine kabyle.

Mes motivations

Je pense qu’il est nécessaire d’exprimer ma pensée avant que le pouvoir assassin ne porte atteinte à ma vie comme il l’a déjà fait pour des Kabyles de grande valeur, notamment Matoub Lounès.

En préambule, une évidence, mais qu’il est bon de répéter, je ne suis pas raciste ! Pour moi, il n’existe qu’une seule race, la race humaine. Ma vision est universelle, à condition que toutes les pensées des êtres humains soient englobées.

Je suis plus besogneux que talentueux, solitaire, écologiste et surtout, je ne supporte pas l’injustice. C’est une des raisons pour laquelle je tiens à redire, expliquer, pourquoi je suis pour l’indépendance de la Kabylie.

Je me suis toujours senti Kabyle et rien d’autre

Après cinquante-cinq ans de vie en France, j’ai refusé la proposition de nationalité française qui m’a été faite. Je suis né Kabyle et mourrai Kabyle.
Ma deuxième naissance fut à l’indépendance de l’Algérie. J’ai cru, un moment, que nous allions pouvoir vivre dans un pays libre où règnerait la justice dans le respect des valeurs humaines.
J’ai vite été désillusionné ! Les vrais combattants furent marginalisés ou tués. Les opposants durent quitter le pays ou disparurent. Le pouvoir a été pris pour l’essentiel par ceux qui étaient en retrait durant la guerre comme H. Boumediene et A. Bouteflika qui n’ont pas tiré une seule cartouche durant la période ! Ils vivaient paisiblement au Maroc. Ils se sont rattrapés plus tard en commandant l’exécution d’innocents.
Très rapidement, ils s’employèrent à arabiser le pays. Ma propre langue devint interdite et l’histoire des miens en Afrique du Nord devint une pâle réplique moyen-orientale avec la violence et les trahisons des pro-arabisants adorateurs de pierre.

Des lions que nous étions, ils ont voulu faire des lapins. Fini le temps où le peuple kabyle et amazigh vivait en harmonie et fraternité. Le nouveau pouvoir assassin voulait créer un troupeau hybride mariant le crapaud et la gazelle. Le pays s’est alors vidé, comme un corps de son sang, pendant que le pouvoir mafieux s’accaparait les richesses du pays. Certains se sont unis à de slaves étrangères, pris la nationalité de leurs anciens colonisateurs, laissant le pays en friche et ont envoyé leurs enfants en Europe, étudier dans les pays développés. Les dés étaient jetés…

Dans les années 90 a commencé la chasse à l’homme

Avec une guerre qui n’en porte pas le nom, elle se solde par 200 ou 250 000 morts. L’Histoire finira par prouver les chiffres exacts. Mensonges, vols, corruptions, la liste est longue.
Le temps est venu d’éliminer les intellectuels, surtout kabyles. Un nouveau pas est franchi.
On commence par les plus grands, les plus gênants, Matoub Lounès tué près de sa maison, Tahar Djaout, etc. Le massacre va continuer.

En 2001 la chasse aux Kabyles fait rage

128 jeunes gens, enfants, sont assassinés à ciel ouvert, sans compter les blessés et les milliers de handicapés à vie.
Ce qui est grave, c’est que parmi ceux qui se prétendent Algérianistes, pas un n’a levé le petit doigt ; au contraire, une partie d’entre eux, à Alger, étaient prêts à participer au lynchage. Des balcons, ils jetaient des bouteilles d’acide sur les marcheurs pacifiques, innocents aux mains nues. La chaleur atteignait quarante degrés. Les enfants kabyles, chemise ouverte sur leur poitrine, continuaient leur marche, se précipitant pour boire, se rafraîchir, trouvant des bouteilles remplies d’eau et d’acide ! Ils s’écroulaient un par un sur le bitume brûlant… Un massacre dont la majorité des Algérianistes s’est réjouie. Les autres se sont contentés d’être spectateurs.
Mon cœur saigne à l’évocation de ce spectacle tragique.

Je ne peux ni ne veux vivre sous l’autorité d’un gouvernement qui nous extermine

Je ne veux pas non plus vivre au milieu de gens qui nous détestent et souhaitent pour la plupart notre disparition. Cette tribu de prédateurs, consommateurs, Algérianistes anesthésiés par un pouvoir mafieux, que je mets au défi de nous avouer être bien et heureux en Algérie, vit sur des terres qui nous appartiennent depuis des millénaires. Ils ne produisent rien, n’inventent rien, ne fabriquent rien depuis 1962, vivant des rentes pétrolière et gazière.

Je ne dois rien à quiconque, encore moins à l’Algérie n’ayant même pas bénéficié d’une scolarisation minimale et en un sens tant mieux, car je serais devenu un zombie inculte comme un bon nombre de ceux qui constituent la société algérienne.
Au contraire, l’état algérien m’est redevable d’avoir enrichi son patrimoine – qui n’est plus le sien aujourd’hui – sans ne m’avoir jamais versé un centime de dinar !
Je me suis réalisé seul, ce qui fait de moi un homme libre.

Shamy Chemini
Co-fondateur du groupe Les Abranis, écrivain, réalisateur
Juillet 2017

* Toutes ces œuvres éditées chez L’Harmattan et Sybous sont disponibles chez L’Harmattan, Amazon en ligne et les éditions L’Odyssée pour l’Algérie

SIWEL 161740 Aug 17 UTC

Laisser un commentaire