Récit de mon arrestation à Iεeẓẓugen le 14 juin 2017, Journée de la Nation Kabyle
GOUVERNEMENT PROVISOIRE KABYLE
MOUVEMENT POUR L’AUTODÉTERMINATION DE LA KABYLIE
MAK-ANAVAD
RAPPORT D’AGRESSION D’UN MILITANT PAR LA POLICE/GENDARMERIE COLONIALE

Témoignage de Samir Terrak, jeune poète et militant de la section MAK-Anavad d’At Ɛevd Lmumen

Afin de rendre hommage aux jeunes Kabyles tombés en martyrs sous les balles des gendarmes algériens en 2001, les militant(es) de la jeune section MAK-Anavad d’Aït Abdelmoumen ont répondu à l’appel du Mouvement.

Un rassemblement et un recueillement étaient prévus à Iεeẓẓugen, afin de commémorer ce triste souvenir. Cette action a été organisée dans le cadre de la célébration de la Journée de la Nation Kabyle.

Tout a commencé avec beaucoup d’enthousiasme

Je me suis levé, rempli d’espoir et d’enthousiasme. Cependant, une petite amertume au cœur et une forte indignation m’ont investi. Ce sentiment était dû au souvenir des 128 jeunes assassinés lors des événements du printemps noir, et pour lesquels justice n’est toujours pas rendue.

Ce matin-là, je suis allé rejoindre mes amis. Je me suis doté d’un drapeau kabyle enfoui dans la poche arrière de mon pantalon, de mon téléphone cellulaire, de ma carte d’identité algérienne et de celle d’étudiant dans les poches avant. Aussitôt réunis, nous avons pris la route vers Iεeẓẓugen. Étant conscients du risque de répression que pouvait nous réserver le pouvoir algérien, nous avons insisté sur le caractère pacifique de notre action et avons décidé de ne pas répondre aux provocations des forces de l’ordre.

Pour arriver au lieu du rassemblement, nous avons réussi à franchir deux barrages de police et un autre de gendarmerie, déployés à l’entrée de la ville. Nous étions très contents de cet exploit. Oui je dis bien exploit ! Parce qu’au vu du nombre de policiers présents dans tout le périmètre de la ville, y pénétrer relevait de l’impossible.

Dès notre arrivée, le « spectacle » a démarré. Des arrestations violentes et arbitraires. Ce qui nous a obligé, mes amis et moi, à nous séparer pour ne pas attirer l’attention.

Un ami non militant a été embarqué et a raté ses examens

Alors que je discutais avec un ami qui devait passer un examen, quatre policiers se sont jetés sur nous et sur Ahmed (un ami de la section, présent à quelques mètres de moi). Ils nous ont traînés comme de vulgaires criminels devant des centaines de spectateurs. Ils nous ont demandé nos pièces d’identité, nous avons obéi et après les avoir examinées, ils nous ont donné l’ordre de monter dans leur voiture. Mon ami, celui avec lequel je discutais avant l’arrestation, n’était même pas au courant qu’il y avait un rassemblement et n’avait rien à voir avec notre mouvement. Il a pourtant été victime de la sauvagerie des policiers qui avaient reçu l’ordre de réprimer, de violenter et de faire barrage à toute action qui relèverait de la question kabyle.

Nous avons tous les trois été embarqués dans leur voiture en direction du commissariat de Iεeẓẓugen. Je les ai suppliés de libérer mon ami pour qu’il puisse passer son examen à temps. L’agent m’a répondu dans un arabe vulgaire : « Je m’en fous de son examen, moi j’applique la loi et il va venir avec nous ! ». D’un geste spontané, je lui ai tendu la main et lui ai demandé : « S’il vous plaît ! Rendez-lui ses papiers et laissez le partir. » Ce qui m’a coûté un coup de poing dans la paume de la main gauche. J’ai rétorqué : « Mais pourquoi vous me frappez ? » Et encore plus vulgairement le policier m’a ajouté : « Tu appelles ça des coups ? Attends tu vas voir ce que c’est que frapper au commissariat ». Et là j’ai compris que nous étions tombés entre les mains de personnes qui useraient de tous les moyens pour nous faire fléchir. J’ai alors serré les dents et me suis tu.

Au commissariat, les policiers étaient surexcités

Nous sommes arrivés au commissariat aux environs de 10h30, une trentaine de militants arrêtés étaient déjà là. Ils ont rempli des fiches de renseignements et ont saisi tous les objets qui se trouvaient en notre possession. En fouillant, le policier a tout repéré sauf mon drapeau. Quel soulagement ! Il m’est très cher, j’y tiens énormément. Après ça, ils nous ont ordonné de rester avec le groupe en attendant de nous appeler un par un… Entre-temps, je tentais d’analyser la situation et d’imaginer jusqu’où ces hommes étaient prêts à aller. J’ai alors pu constater des faits qui ont failli me glacer le sang. Après des cris et des insultes dans la salle des renseignements, j’ai vu un jeune homme en pleurs en sortir les joues bien rougies par ce qui devait être des traces de gifles.

Les policiers nous ont traînés par la nuque et les bras, jetant des regards haineux. Ils étaient en sueur, nous insultaient, tenaient des propos méprisants et nous traitaient de tous les noms : Enfants d’Israël, cochons, bande de séparatistes, pseudo-imazighen… oui certains policiers arabes nous ont affirmé être plus amazighs que nous les kabyles ! Toutes leurs expressions m’ont fait comprendre que ces gens-là étaient prêts à s’abreuver de notre sang, à l’aspirer de nos veines !

L’arrivée de Rachida Ider aux cris de « Kabylie indépendante »

Après deux heures de temps, tous les militants qui discutaient de la gravité de la situation et sur la façon dont il fallait agir furent réveillés par le chant du slogan « Kabylie indépendante ». C’était Rachida Ider qui chantait, elle fut traînée et bousculée par trois policiers. À son arrivée, des traces de violences physiques étaient apparentes sur son corps. Puis elle fut embarquée avec deux autres militantes.

La colère que nous a causé cette scène nous a révoltés. Nous nous sommes relevés pour reprendre les chants de Rachida qu’ils ont fait taire par la force. C’est là que la situation a failli dégénérer à l’intérieur quand les policiers se sont jetés sur nous pour nous séparer et nous garder à vue. Un militant diabétique a perdu connaissance, il a fallu l’évacuer. Je me souviens aussi d’un vieil homme qui n’arrêtait pas de chanter du Matoub Lounes. Il les dérangeait au point qu’ils l’ont fait sortir en employant la force alors qu’il tenait à rester avec nous.

Une fois dans les cellules, le ton s’est aggravé. Même les policières étaient d’une vulgarité extrême ! Un policier, comme pour nous terroriser, nous a avoué que le dernier qui avait passé un séjour dans cette cellule était un terroriste.

Nous avons poursuivi nos célèbres chansons de résistance : «Berrouaghia», «Arraw n tlelli», «Al ɛamr-iw», «Pouvoir Assassin»… sans oublier l’hymne national Kabyle, le tout accompagné par les youyous de nos filles.

Déshabillage général !

Un policier en civil est entré dans notre cellule pour savoir qui avait un téléphone. Un de nos militants avait deux portables sur lui. Le policier a commencé à nous menacer : « Celui qui a un téléphone, qu’il le fasse tomber car si je le fouille et que je le trouve je vais lui ni… sa mère ». Alors notre ami à présenté l’un de ses téléphones mais l’agent a insisté : « Non pas celui-là mais celui avec lequel vous avez pris un selfie ! » Nous avons gardé le silence. L’agent nous a alors mis en ligne pour nous fouiller, le militant en a profité pour cacher son deuxième téléphone. Quand vint mon tour, j’avais la gorge nouée. J’avais peur qu’il découvre mon drapeau parce que j’y tenais plus qu’à ma propre personne. J’ai une fois de plus eu de la chance. Il ne l’a pas trouvé, le second portable non plus. Il a décidé de nous faire sortir un par un pour une fouille plus approfondie, en vain. C’est là qu’une policière s’est présentée pour donner l’ordre de nous déshabiller complètement ! Le premier militant qui a protesté à été tabassé devant nous : « Je vais te ni… ta mère, fils de p… (n.. mok ya weld lqa…) » a rajouté le policier avant de l’embarquer. Depuis, je n’ai plus recroisé ce militant. Puis deux agents ont commencé à déshabiller les militants, suivant les instructions de la femme.

Suite à quoi ils ont retrouvé le smartphone caché dans les sous-vêtements de son propriétaire. Quant à moi, j’ai eu la chance de ne pas être déshabillé, mais mon drapeau a été découvert et m’a été confisqué. Un morceau de chair m’a été arraché ! Puis je fus conduit dans une salle où j’ai subi une torture psychologique intensive. J’étais face à deux agents d’une agressivité inimaginable. Ils m’ont même attribué un surnom avec lequel ils me traitaient. L’un d’eux face à son ordinateur, m’interrogeait. L’autre, mon propre téléphone à la main, cherchait dans ma galerie de photos-vidéos, me questionnait sur chacune d’elles. En lui répondant, je ne pouvais entendre la question de l’autre agent. C’est alors que j’ai reçu un soufflet en plein visage. Puis il a enchaîné avec un flot de questions de toutes sortes : « Que fais-tu dans le MAK ? Qui sont ses responsables ? Depuis quand as-tu intégré le MAK ? Que fais-tu dans la vie (ma carte d’étudiant était entre ses mains !) » J’ai répondu que j’étais étudiant et là, il a commencé à insulter tous les étudiants kabyles : « Zaɛma vous étudiez ? Toz ! Vous passez votre temps à draguer et à la fin, vous validez vos années par la triche, vous êtes des zéros ». Tout cela dit dans un kabyle et des gestes moqueurs. Je n’ai pas manqué de lui répondre : « Je suis un étudiant digne de ce nom et si je me mets à citer tous les livres que j’ai lus, tu vas te perdre en les comptant ! » Il m’a répondu : « Tais-toi avant que je ne te … ( Bellaɛ nagh tura ad k-q…) », en me menaçant de son poing.

Vulgarités, mépris, insultes et atteinte à la dignité

Ce qui m’a le plus offensé pendant cette séquestration est arrivé. C’était une atteinte à ma dignité. Celui qui a pris mon téléphone est tombé sur une caricature à caractère sexuel selon lui. Il m’a demandé pourquoi je la portais dans mon téléphone en la montrant à ses collègues. J’ai répondu que ce n’était qu’une caricature et que le nom de son auteur était inscrit au bas de l’image. C’est là qu’un agent est intervenu pour dire : « Je sais pourquoi il porte ça sur lui, c’est un p… ! »

Un autre a profité de l’occasion pour me dire de Rachida Ider dans le même contexte et d’une manière que je vais éviter de rapporter tellement c’était offensant. Justement, l’image de la policière qui a ordonné de nous déshabiller m’est venue à l’esprit.

Ils ont usé de tous les moyens pour nous faire revenir en arrière et essayer d’ébranler nos convictions au point de m’inviter à quitter le pays : « Vas-y ! Pars à l’étranger. Tu es encore jeune et ta place n’est pas dans ce pays. » Ils ont même tenté de récupérer un militant devant moi : « Que va te rapporter la politique ? Viens travailler avec nous, on a besoin de gens comme toi. »

Après avoir répondu à toutes les questions et signé le procès verbal sous les menaces d’une dizaine de policiers, ils nous ont réunis, Ahmed, Tasedda et moi-même, pour nous transférer à Iwaḍiyen. C’est là que Tasedda me fit prendre conscience de l’ampleur de la répression du rassemblement.

Nous avons cru que nous serions libérés dès notre arrivée à Iwaḍiyen, mais nous y sommes restés plus de quatre heures.

Le commissaire en personne nous a reçu de la manière la plus intimidante qu’il soit : « Bande de séparatistes ! Vous voulez diviser le pays, qu’allez vous manger, les roches du Djurdjura ? Vous suivez Farhat Mehenni, le trompeur qui va vous jeter à la dérive ». Puis il s’est jeté sur moi avec une virulence extrême pour m’extraire les mains des poches. C’est au tour de Tasedda, assise sur une chaise, il s’est mis à la soulever et à la bousculer. Elle a failli tomber.

Le commissaire a ordonné de nous faire des contrôles judiciaires et a ajouté : « Fichez-les sur tout le territoire national, sur Afripol et même sur Interpol ! »

Je n’ai pas pu m’empêcher de rire face à cette absurdité.

Tasedda a été giflée

Nous avons dû remplir des fiches de renseignements personnelles (j’ai de nouveau répondu aux questions qu’ils m’avaient déjà posées à Iεeẓẓugen). Nous avons tout trois subi des contrôles judiciaires avant de déplacer Tasedda au premier étage pour un procès verbal. Elle les a prévenus qu’elle ne signerait pas, mais ils ont insisté. Quand ils ont terminé, ils ont voulu le lui faire signer de force. J’ai entendu les insultes du commissaire à son encontre et l’écho d’une gifle retentir dans les couloirs du premier étage. Le commissaire est venu à nous pour nous informer que si elle ne signait pas, elle passerait la nuit au commissariat et que son cas serait transféré au procureur. Je l’ai interpellé sur son agressivité : « Mais respectez au moins le fait qu’elle soit une femme ! » Il m’a répondu : « Tu crois aux femmes toi ? Vous défendez les droits de la femme et c’est avec ça qu’elles trompent leurs hommes pour aller forniquer partout ! » Cette vulgarité m’a sidéré.

En ayant terminé avec nous, ils nous ont emmené à la clinique, Ahmed et moi, en vue d’établir des certificats médicaux. À notre retour, Tasedda, dont je salue le courage, persistait toujours dans son refus de signer le procès verbal. Après avoir récupéré nos objets personnels Ahmed et moi, le commissaire nous a libérés, mais nous avons demandé à rester auprès de Tasedda qui a fini par inscrire un mot sur le procès verbal : « je ne connais pas l’arabe ».

Nous avons été relâchés à 20h00, juste après le passage de Tasedda chez le médecin.

Voilà ce qui s’est passé avec nous en cette journée-marathon du 14 juin 2017. Une journée au cours de laquelle j’ai entendu toutes les injures et les insultes que le dictionnaire peut contenir. J’ai reçu des violences physiques et morales, des menaces, des atteintes à ma dignité… et malgré toute cette répression, ma détermination de combattre jusqu’à l’arrachement d’un référendum ne fait que s’accroître. Ma conviction et ma conscience de la noblesse de ce combat se renforcent de plus en plus !

Samir Terrak, militant du MAK-Anavad, rattaché à la section d’At Ɛevd Lmumen.

Samir Terrak a eu le 4e prix du festival de la poésie Amazigh à Akbou en 2016

SIWEL 192148 Jun 17 UTC

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