Témoignage de Youcef Baggio sur la soirée d’affichage du 12 juin, violemment réprimée par la police coloniale
GOUVERNEMENT PROVISOIRE KABYLE
MOUVEMENT POUR L’AUTODÉTERMINATION DE LA KABYLIE
MAK-ANAVAD
RAPPORT D’AGRESSION D’UN MILITANT PAR LA POLICE/GENDARMERIE COLONIALE

 

Témoignage de Youcef Bouamrane (Baggio) sur la répression de la campagne d’affichage du 12 Juin

Vingt et une heures, Tizi Ouzou, le 12 juin 2017. Je rejoins mes frères et sœurs militants pour prendre part à la campagne d’affichage et de sensibilisation dont l’objectif est d’appeler le peuple kabyle à venir en masse au rassemblement prévu le 14 juin 2017 à Iɛeẓẓugen. Cette action a pour but de rendre hommage aux 128 martyrs du printemps noir de 2001 et de célébrer pacifiquement la journée de la Nation Kabyle si chère à notre Peuple.

Tout se passe comme prévu, certains d’entre nous ont pour tâche de coller des affiches, d’autres celle de distribuer des tracts aux passants qui nous manifestent une grande sympathie. Parmi eux, une vieille dame se met à me dire : «Que justice soit faite et que le sang de nos sœurs et frères coulé au cours des événements de 2001 n’ait pas coulé pour rien !»

Vingt trois heures, nous arrivons devant l’hôtel de ville et constatons la présence de policiers réclamant du renfort pendant que d’autres bloquent la route qui mène à l’ancienne gare. Ce barrage a pour but de faciliter l’arrivée des renforts réclamés. À notre arrivée devant le théâtre régional Kateb Yacine, des policiers en tenue, d’autres en civil tentent de nous bloquer le passage. Nous décidons de rester sur place et enchaînons avec des chants engagés suivis de l’hymne national kabyle. La situation se met alors à dégénérer.

La police nous tombe dessus à coups de matraques alors que nous concentions à maintenir dans le calme cette foule venue nous rejoindre. Nous décidons de tous nous donner la main. Les policiers, furieux, se mettent à nous attaquer encore avec plus de férocité avec leurs matraques et tentent de disperser la foule. Leur nombre accroît, ils nous saisissent et nous traînent un par un en pleine rue. Cinq policiers me tombent dessus : matraques, coups de pieds, coups de poings et me traînent au sol. Cela ne nous empêche pas, mes camarades et moi-même, de clamer que nous sommes des militants pacifiques du MAK-Anavad, que nous sommes indépendantistes et que rien ne justifie toute cette violence à notre égard.

L’un d’entre eux, acharné passe son bras autour de mon cou, le serre très fort en disant : «Je vais te tuer… Je vais te tuer !» tout en proférant des insultes. Je ne parviens plus à respirer et finis même par perdre connaissance. Je me retrouve allongé sur le trottoir entouré par mes camarades en position assise. Nous voilà encerclés par des agents de la B.R.I. (Brigade de recherche et d’intervention). Ils nous embarqueront dans leurs véhicules pour nous rouer de coups de poings et d’insultes jusqu’à notre arrivée au commissariat.

Durant un instant, j’ai pensé que cette violence avait fin, mais c’était sans compter sur la haine de deux policiers qui se sont acharnés subitement sur mon camarade et ma personne. Ils nous cognent la tête contre le mur à maintes reprises, estimant que nous n’avions rien à faire dans la rue. La présence de mon drapeau kabyle n’arrangera pas les choses.

Ils me conduisent dans une salle pour un interrogatoire suivi d’une fouille bien poussée. Ils commencent à me poser des dizaines de questions. Je les trouve parfois inutiles voire bêtes. Celles sur mes convictions religieuses, ma pratique et autres me contraignent à garder le silence. Ce qui suffira à déclencher leur colère et leurs menaces.

On me transfère dans une nouvelle salle afin de me contraindre à signer le procès-verbal établi par leurs soins. J’essuie des menaces, des insultes et des coups sur la tête à chaque refus de signer. Comme pour me faire peur, ils décident de faire appel à leur supérieur, persuadés qu’il parviendra à me faire signer d’une manière ou d’une autre, avec l’emploi d’un stylo ou par mon empreinte. Je maintiens mon refus que je tente de justifier par l’incapacité de signer un document écrit dans une langue que je ne connais pas !

En vain, ils décident de me transférer dans une nième salle où un procès-verbal est dressé à un étudiant qu’ils avaient embarqué avec nous. Il se trouvait là au moment de notre arrestation, rien de plus. Ils tentent de l’intimider en lui disant : «Regarde ton camarade, lui il assume son appartenance au mouvement et toi tu nies. Sois un homme, avoue que tu es un militant du MAK !»

Vers cinq du matin, on me laisse rejoindre mes camarades qui, à leur tour, sont appelés pour un interrogatoire. Nous étions une trentaine en tout, dont plusieurs filles à avoir passé la nuit au commissariat colonial. Nous changeons de nouveau de salle pour être finalement accompagnés vers une polyclinique non loin du commissariat en vue d’une consultation médicale.

Le médecin constate mon état de faiblesse suite aux tortures physiques et psychologiques que je venais de subir. Il remarquera des traces de coups sur mon épaule gauche. Il me pose quelques questions et dresse un certificat médical. L’agent se penche vers lui pour lui demander de ne rien signaler sur le certificat. Le médecin refuse en avançant que son travail consistait à établir un certificat en fonction de ce qu’il constatait sur le patient et non sur ce qu’on lui dictait !

Je failli de le payer très cher à mon retour au commissariat ; ils m’appelent de nouveau et me reprochent d’avoir dit au médecin qu’ils étaient responsables des coups reçus. C’est alors qu’ils me fusillent de regards haineux. Pour eux, j’aurais donc dû mentir au médecin pour couvrir leur sauvagerie.

Vers sept heures du matin, nous sommes transférés vers le commissariat central pour la prise d’empreintes et nous sommes enfin relâchés vers neuf heures après qu’ils nous aient confisqué nos téléphones portables et nos pièces d’identité. Nous les récupérerons que deux jours plus tard.

Je suis prêt à revivre cette nuit des centaines et des centaines de fois. Je continuerai mon combat afin que les générations à venir n’aient plus à subir ce même sort sur les terres qui les aura vus naître. Je me battrai encore et toujours pour une Kabylie libre et indépendante.

Youcef Bouamrane,
Membre de l’exécutif de la Coordination Ouest du MAK-Anavad
SIWEL 051622 Jul 17 UTC

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