CONTRIBUTION (SIWEL) — « L’incident de la Miss kabyle illustre a bien des égards les conséquences d’habitus longtemps cultivés en haut lieu que le citoyen moyen encaisse. C’est le résultat d’une politique linguistique glottophage dont le but consiste à déclarer une langue hors la loi et programmer ainsi sa disparition à plus ou moins brève échéance »…

« A quelque chose malheur est bon dit l’adage, ce geste dont la symbolique n’échappe à personne a enflammé donc les réseaux sociaux et le tollé était à la mesure de la provocation. Cette réaction virtuelle nous renseigne par la même sur la bonne santé du militantisme kabyle qui, dans le contexte délétère algérien demeure le seul rempart qui protège la Kabylie, langue, culture et société des menaces l’Etat voyou, marchand d’une idéologie venue du fond des âges. »

 

A l’heure où l’on parle de cette Miss Kabylie qui n’osait pas s’exprimer en kabyle (très vite, on s’est rendu compte qu’il s’agissait d’une farce à finalité subversive à laquelle le régime d’Alger nous a habitués), il serait bon de préciser que les langues jouissent de statuts, assument des rôles, entretiennent des rapports et s’affublent de représentations plus ou moins favorables. Il faudrait donc considérer les langues dans leur dimension sociale, c.-à-d. bien sujettes à des jugements de valeurs appréciatifs ou dépréciatifs, selon les représentations que les groupes sociaux se font d’elles.

En Algérie, l’arabe – et sans préciser lequel, (comme s’il y avait une seule langue arabe alors qu’il y a l’arabe dialectal algérien avec ses variantes infranationales et l’arabe classique ou littéral) est la langue nationale et officielle de la République algérienne, ce statut lui confère des privilèges et des rôles à jouer au détriment de la langue kabyle qui n’est ni langue nationale ni langue officielle, n’en déplaise à la dernière officialisation en date qui n’est qu’une farce, encore une autre!

L’arabe dialectal est perçu par le commun des mortels algériens comme le prolongement naturel de l’arabe classique, donc le "prestige” rejaillît sur cet arabe dialectal. Les locuteurs se voient ou se sentent obligés de s’en servir dans les milieux formels tels que l’école, l’administration, les medias, etc. a l’inverse du kabyle dont l’usage n’est pas permis dans les lieux dits formels et se retoruve par voie de conséquence limité à la sphère privée et à la rue, quand il n’est pas concurrencé par l’arabe. Auquel cas on peut parler d’un bilinguisme conflictuel parce qu’inégal.

Les deux langues, l’arabe et le kabyle, entretiennent donc un rapport de domination dans lequel l’une est considérée comme dominante et l’autre comme dominée. Il ne viendra pas à l’esprit d’un locuteur arabophone d’adresser la parole à un kabylopphone en kabyle et inversement. Une règle tacite semble s’imposer et le kabylophone doit répondre en arabe à moins que l’esprit militant de ce dernier ne prenne le pas sur cette règle, auquel cas, l’arabophone verrait dans cette attitude un défi voire une provocation.

Egalement, un élève dans la salle de classe, « victime » d’un lapsus, dit un mot en kabyle en lieu et place de son équivalent en arabe se convertit immédiatement en objet de risée pour ses pairs et moqué par l’enseignant. L’école, les médias, l’administration et même la rue nous inculquent la haine de soi par un déni identitaire linguistique flagrant et programmé.

Les représentations positives, négatives, voire neutres, que les gens se font des langues coexistant dans le même espace géographique sont le résultat des usages qu’en fait la société, eux-mêmes subordonnés à la politique linguistique qui classent officiellement les langues et les hiérarchisent en décrétant tel idiome une langue a part entière et tel autre un simple dialecte, comme si il existait une différence entre langue et dialecte et que cette différence étaient inhérente à la langue ou au dialecte en question.

Partant du simple constat que toute politique linguistique s’adresse à une société dont elle entend agir sur les pratiques langagières pour les transformer, il coule de source que cette transformation ne doit être que favorable à l’arabe au détriment du kabyle et le rapport que les sujets entretiennent avec ces deux langues en contact en sera alors affecté et seul le pouvoir symbolique de ces dernières quand il existe pourra faire agir le locuteur à contre-courant.

L’incident de la Miss kabyle illustre a bien des égards les conséquences d’habitus longtemps cultivés en haut lieu que le citoyen moyen encaisse. C’est le résultat d’une politique linguistique glottophage dont le but consiste à déclarer une langue hors la loi et programmer ainsi sa disparition à plus ou moins brève échéance. Vu sous cet angle, on ne peut blâmer cette jeune femme, elle n’est que le produit d’un système qui cultive le déni identitaire et la haine de soi. Et la meilleure façon d’inculquer cette haine consiste à péjorer sa langue et la frapper d’interdit. Les Kabyles de service qui nous ont servi cette farce en étaient à leurs frais. La toile a réagi, et vigoureusement.

A quelque chose malheur est bon dit l’adage, ce geste dont la symbolique n’échappe à personne a enflammé donc les réseaux sociaux et le tollé était à la mesure de la provocation. Cette réaction virtuelle nous renseigne par la même sur la bonne santé du militantisme kabyle qui, dans le contexte délétère algérien demeure le seul rempart qui protège la Kabylie, langue, culture et société des menaces l’Etat voyou, marchand d’une idéologie venue du fond des âges.

Kaci MEZAA,

SIWEL 221057 JAN 16

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