Karim Achab : « La sécurité des citoyennes et citoyens en Kabylie : parlons-en ! »

La première qualité que je dois reconnaitre à Mas Ferhat Mehenni c’est bien sa constance en politique à poser les bonnes questions. Ces questions, il les a déjà posées dans ses chansons dans les années 70, à une époque où s’affirmer kabyle était considéré comme un crime passible de prison. Il a porté sur son épaule la responsabilité d’appeler toute la Kabylie à un boycott scolaire en vue de faire reconnaître tamazight comme langue nationale et offcicielle au moment où certains politiques n’y voyaient qu’un outil de chantage pour avoir des gains politiques partisans ou personnels.
Quand Mas Ferhat Mhenni défendait bec et ongles l’esprit du boycott, on a lancé la machine de la propagande le désignant comme l’irresponsable qui voulait faire perdre une année d’étude aux enfants et aux étudiants. La machine de la propagande était déjà rodée puisque peu auparavant, lorsque les enjeux étaient différents, on avait accusé feu Ait Ahmed, trente années plus tôt, d’irresponsable politique qui avait engagé la Kabylie dans une guerre contre l’armée de Ben Bella, en voulant lui charger sur le dos comme une mule les victimes kabyles tuées par l’armée de Ben Bella. Le procédé propagandiste faisant d’un événement un argument et son contraire, selon les intérêts recherchés, était donc classique, rodé et connu des rusés du monde politique et de leurs relais journalistiques.

Revenons-en à la sécurité des citoyennes et des citoyens. La sécurité est reconnue à la fois comme un droit fondamental et l’un des pillier forts de tout État souverain. C’est même une condition de souverainté. Est-ce que les Kabyles sont en sécurité en Kabylie? La réponse est évidemment non. Ceci signifie que le droit fondamental des Kabyles à la sécurité est bafoué. Mais cela veut surtout dire que les Kabyles n’ont pas d’État. Est-ce que c’est la naissance du MAK qui a mis fin à la sécurtité des Kabyles par l’État algérien qui était supposé de l’assurer? Évidemment non, ce fut l’inverse. Le MAK est né des événements du Printemps noir kabyle lorsque l’État algérien a agressé la Kabylie en y assassinant 128 citoyens, la plupart de dos, alors qu’ils tentaient de se mettre à l’abri des balles explosives assassines.

Qui agresse aujourd’hui les citoyens kabyles lors des manifestations pacifiques qui constituent un autre droit fondamental? C’est avant tout la police, la gendarmerie et les autres forces algériennes dont le rôle aurait dû être le contraire. En plus de l’agression, les citoyennes et les citoyens kabyles subissent aussi l’humiliation et la provocation dont la nature et le degré n’ont rien à envier aux pires États coloniaux de la planètes. Quand les agresseurs ne sont pas directement les forces algérienne supposément de « sécurité », alors cette violence est confiées à d’autres agents voyoux dans les universités, les écoles, les mairies et d’autres espaces publics. Combien de filles furent agressées dans la résidence universitaire de Medouha ou à Bastos pour avoir eu le courage de faire entendre leur voix ? Combien de filles humiliées, sommées d’enlever devant les agents mâles les T-shirt qu’elles portaient sur lequel était écrite la phrase « Je suis Kabyle » ? Combien de jeunes femmes roulées par terre et battues parfois même défigurées pour avoir eu le courage de crier leur ras-le-bol de l’injustice ? Est-ce que ceux qui s’acharnent contre Ferhat Mehenni ont proposé une autre alternative hormis la lâcheté de se cacher derrière le prétexte qu’il s’agit des éléments du MAK ? Mais savent-ils que c’est justement cette injustice-là qui fait que de plus en plus de jeunes rejoignent le MAK ?

Ainsi, encore une fois, Mas Ferhat Mehenni n’a fait que poser la bonne question, celle de la sécurité des citoyennes et des citoyens kabyles en Kabylie. Mas Ferhat Mehenni n’est pas de ceux qui fuient leur responsabilité, ni celui qu’on peut réduire au silence à l’aide d’une machine propagandiste qu’elle soit politique de bas de gamme ou bien journalistique, hélas, de même gamme. La caravane de Mas Ferhat Mehenni passe…

Pour finir, il m’est venu à l’esprit un texte que j’ai diffusé sur Siwel le 12 novembre 2016 lorsque Mas Bouaziz Ait Chebib, alors président du MAK, fut agressé à Timizar par une gang de voyoux conduit par un imam du nom de Yacine Bouache, qui était aussi secrétaire de la Zaouia de Sidi Mansour et dont les photos postées sur les réseaux sociaux attestaient de sa proximité avec le wali de Tizi-Ouzou. Dans ce texte, j’ai écrit ceci: « La question que nous nous posons maintenant est « que faire ? ». Les militants du MAK sont en avance sur leur temps ! Ils se sont engagés à ne pas user de la violence et mènent le combat de façon pacifique pour l’émancipation de toute la Kabylie. La Kabylie entière devrait veiller sur eux. La Kabylie doit se lever comme un seul homme pour livrer ce message à la police politique algérienne qui sera tentée de suivre cette voie de la violence. Pour autant, les militants du MAK et leur président ne doivent pas s’exposer gratuitement à cette violence. Ils doivent maintenant avoir un service d’ordre et se doter de groupes de légitimes défense de nature à parer aux agressions des baltagas à l’instar de celle qu’ils viennent de vivre. » (voir lien ci-dessous)

C’est de cela que parle Mas Ferhat Mehenni dans son allocution sur la sécurité. Ce texte fut à l’époque partagé par milliers sur les réseaux sociaux y compris par ceux-là même qui, aujourd’hui, crient au scandale en lui donnant une interprétation malsaine qui consiste à dire que Ferhat Mehenni veut créer une armée en Kabylie !

Une armée kabyle en Kabylie arrivera un jour par le seul fait de l’injustice, la provocation, l’humiliation et la tamuhqranit de l’État algérien, avec ou sans Mas Ferhat. Le don et le talent de Mas Ferhat Mehenni consistent à poser sur la table les bonnes questions, dans un langage limpide et clair, sans langue de bois.

Voici le lien vers le texte que j’ai publié le 12 novembre 2016 :

Karim Achab : « L’État algérien sous-traite la violence en Kabylie »

Exil, le 06 juin 2018

Karim At Aɛmeṛ (Achab dans l’État civil colonial)
PhD. en Linguistique
Ancien Ministre de la Langue et de la Culture kabyles au sein du Gouvernement provisoire kabyle (Anavad)

SIWEL 140418 JUN 18