Entretien avec Karim Achab professeur d’université et militant souverainiste

REVUE DE PRESSE (SIWEL) — En soutien au site d’information Kab-News dont cet autre article a été signalé par les mouches électroniques actionnées par le système du nouveau dictateur militaire algérien afin qu’il soit retiré sur les réseaux sociaux, Siwel publie dans son intégralité le dit article :

Karim Achab, PhD en linguistique, professeur à temps partiel à l’Université d’Ottawa au Canada, ancien ministre de la Culture au sein du GPK et proche du président de l’Anavad, revient dans cet entretien sur les dernières actions entreprises par le mouvement souverainiste afin d’internationaliser la question kabyle. Karim Achab évoque également le mouvement de protestation en cours en Algérie, la Kabylie, la décentralisation, la menace islamiste…

Le MAK et l’ANAVAD ont organisé des actions dans plusieurs capitales occidentales. Pour quel objectif ?
Le MAK et l’ANAVAD sont des organisations pacifiques ayant inscrit le combat, entre autres, dans le cadre du droit international, notamment à travers le droit des peuples à l’autodétermination, adopté le 16 décembre 1966 et ratifié par l’Algérie le 8 septembre 1968, il y a donc 51 ans. Et comme les Nations Unies est une organisation des États, il est important de rappeler constamment à ceux-ci qu’il existe un mouvement en Kabylie qui réclame son droit à l’auto-détermination, un droit que ces États-là ont adopté et ratifié. Ces actions sont la suite logique du dépôt du mémorandum sur l’autodétermination de la Kabylie remis aux Nations Unies par notre président Ferhat At Sɛid (Mehenni) il y a juste deux années. Pour rappel, la remise du mémorandum est un effort diplomatique et une stratégie de communication internationale. À défaut de faire interpeller le Conseil de sécurité des Nations Unies par un État membre, notre président, au lieu de rester les bras croisés en attendant Godot, a préféré être proactif en déposant ce mémorandum. Ce dépôt du mémorandum nous a, à son tour, inspiré ces rassemblements devant les parlements des pays que vous avez mentionnés, lesquels rassemblements nous fournissent désormais un cadre de concertation et de réflexion en vue d’internationaliser la question de l’autodétermination du peuple kabyle.

L’Algérie vit depuis neuf mois un mouvement de protestation inédit. Quel lecture en faites vous ?
Que des Algériens aient pu sortir pour faire avorter la mascarade du 5ème mandat en manipulant un pauvre vieillard sénile au profit d’une bande de charognards irascible et irresponsables est en soi une bonne chose. Qu’ils aient la volonté de chasser Gaid Salah qui ne sera dans quelques semaines rien d’autre qu’un Bouteflika bis est également une bonne chose. Cependant, de là à dire que tous les Algériens ou même la majorité des Algériens se sont démocratisés du jour au lendemain et que tous ces manifestants sont porteurs d’un même projet démocratique commun, il ne faut pas se leurrer. C’est plutôt l’ambiance festive de ce mouvement et l’absence de confrontation politique qui, pour le moment, empêchent de tirer les couteaux rangés pour la circonstance. Mais si demain les partis politiques reprennent leurs activités avec de nouveaux partis légalisés, que ce soit par manipulation ou de manière innocente, on verra, hélas, la violence reprendra son trône et ses lettres de noblesse en Algérie et le système de se régénérer avec une peau neuve et ce sera parti pour un autre demi-siècle. Le regard algérien sur la Kabylie ne changera pas. Les Algériens vont continuer à considérer la Kabylie comme une terre conquise sur laquelle ils ont un droit de regard et les Kabyles comme des mineurs à vie qui n’ont aucun pouvoir de décision sur leur espace et l’avenir de leurs enfants. Pour revenir aux marches actuelles, c’est le fait que les Kabyles qui s’impliquent auront toujours le beau rôle du dindon de la farce. Après la décantation, ce mouvement aura servi à arabiser les manifestations en Kabylie, une première depuis que la Kabylie existe, donc à restreindre davantage l’espace d’expression et d’épanouissement de Taqvaylit qui est déjà assez exiguë, le tout par le biais de certains Kabyles promus leaders par la frange arabisante et arabo-nationaliste de ce mouvement, qui ne fait que préparer le terrain pour les Zitot et le mouvement Rachad qui se vantent de s’inspirer, selon les propres termes de ce mouvement publiés sur leur site « des khalifes rachidine » comme Abou Bakr, Omar, Othmane et Ali, et du khalife omeyade Omar Ibn Abdelaziz (c’est sur le site de ce mouvement). Nous reprochons aux Kabyles impliqués dans ce mouvement d’avoir renoncé au contrôle de leur propre espace de manifestation sur le plan linguistique, politique et culturel, au point de les voir reproduire les slogans écrits et scandés seulement en arabe, faire chanter la foule en arabe et jouir d’une liberté totale lorsqu’il s’agit de brandir n’importe quel drapeau d’un pays arabe sans se faire agresser mais de se voir agressé violemment lorsqu’il s’agit de quelqu’un qui brandit le drapeau kabyle s’il n’est pas bien entouré.

La Kabylie est engagée comme à son habitude dans la contestation, mais tout montre qu’elle est la seule région qui essaye de donner un contenu politique au ras le bol. Comment vous expliquez cela ?
Si vous parlez du refus clairement exprimé de certains maires en Kabylie d’organiser les élections présidentielles voulue par G. Salah, je dirai qu’il s’agit là du positionnement politique naturel qui a toujours prévalu en Kabylie et qui a toujours distingué la Kabylie de l’Algérie. Cette fois-ci, cependant, ce positionnement a pour cadre ce mouvement de protestation dont nous parlons. Nous pouvons donc dire qu’il s’agit de mettre à profit cette particularité de la Kabylie en faveur de ce mouvement.

Des voix en Kabylie s’élèvent pour appeler à la décentralisation. Pensez-vous que ces voix seront entendues ?
Quand un ancien candidat aux élections présidentielles, soutenu par des démocrates dont maître Moqran Ait Larbi, et qu’on nous présentait comme démocrate, progressiste et titulaire d’un doctorat en science politique, dit rejeter le fédéralisme car porteur du germe sécessionniste, que dire alors d’un Algérien ordinaire, d’un islamiste, d’un pan-arabiste, ou d’un nationaliste algérien version FLN, RND, etc. ? Le seul scénario où l’État algérien, et ce peu importe qui sera aux commandes, envisagerait l’idée du fédéralisme, ce serait sous la pression de la menace indépendantiste kabyle. À ce moment-là et seulement à ce moment-là, l’État algérien et ses généraux pourraient voir une forme de décentralisation comme le moindre mal. Sans cela, rien ne viendra sur un plateau d’argent, et si les partisans de l’autonomie ou du fédéralisme veulent vraiment y parvenir, il va falloir qu’ils aillent au charbon comme le font les militants du MAK. Une voix pouvant permettre d’imposer ce fédéralisme sera à travers la création d’un parlement kabyle si toutes les parties intéressées décident de joindre leurs efforts et mettre au sommeil tout autre projet politique pour se consacrer à la réalisation d’un tel parlement. L’État algérien ne pourra alors rien devant la détermination de toute la population kabyle.

D’aucun craignent que l’islamisme sera l’unique vainqueur de ce mouvement. Partagez-vous cette lecture et pourquoi ?
Les ingrédients qui ont produit l’islamisme politique et militant de masse ne sont pas près de s’éteindre et ils ont de beaux jours devant eux. Ces ingrédients sont, entre autres et avant tout, le manque du sentiment d’appartenance qui vient de la faillite idéologique, politique et économiques de la part des États dit musulmans (par opposition au label États laïcs). Les citoyens islamisés de ces pays rêvent d’une nation musulmane (la Ouma islamiya) qui sera une panacée à tous les problèmes de la société. On constate le même sentiment d’appartenance chez les musulmans en Europe où la faillite des modèles d’intégration des pays européens fait qu’ils ont le sentiment d’appartenir à la communauté musulmane plutôt que comme des citoyens appartenant aux États où ils vivent. Ajoutons à cela le sentiment de panique devant l’évolution des mœurs dans les pays occidentaux tels que la libéralisation de l’orientations sexuelle et de l’identité du genre, la fin du mariage traditionnel en tant qu’institution, etc. Cette combinaison de faillite des pays musulmans que tout le monde veut quitter et le choc résultant de l’évolution des mœurs dans les pays d’accueil font que l’Islam soit devenu l’antichambre où les esprits fragiles ou fragilisés trouvent refuge. Vu que l’État algérien a laissé le champ libre aux islamistes notamment à travers l’école, la prolifération des mosquées, les associations financées par l’Arabie saoudite, les médias lourds comme la télévision privée, l’Algérie a pu fabriquer une génération entièrement islamisée qui portera au pouvoir les islamistes. La différence est que cette fois-ci l’armée est infestée de hauts gradés islamistes qui sauront protéger les islamistes une fois arrivés au pouvoir.

Sources : Kab-News.com

SIWEL 311505 OCT 19