Témoignage de Tannirt, la benjamine des militantes violemment agressées au commissariat colonial de Tuvirett
GOUVERNEMENT PROVISOIRE KABYLEMOUVEMENT POUR L’AUTODÉTERMINATION DE LA KABYLIE

MAK-ANAVAD

RAPPORT D’AGRESSION D’UN MILITANT PAR LA POLICE/GENDARMERIE COLONIALE

 

Tannirt, 18  ans, étudiante en L1 Mathématique Informatique, militante du MAK-Anavad

Ce que nous, militants pacifiques, avions vécu au commissariat de Tuvirett, est sans doute l’une des atteintes les plus criantes aux droits les plus élémentaires de la personne humaine. La nature brutale du régime algérien et, par voie de conséquence, de ses services armés (police, gendarmerie…) étant connue de tous, A Tuvirett, en ce 20 ami 2017, le Rubicon a été franchi. L’intégrité physique et morale de militants et de militantes, venus marcher pacifiquement, a été touchée avec, en sus, un racisme patent qui s’exerce désormais sans complexe et dans l’enceinte même d’une institution censée, du moins dans les slogans de propagande officielle, agir dans le respect de tous les droits des citoyens.

Dans nos têtes remplies de rêves, une seule question nous taraudait : Pourquoi une telle violence et pourquoi autant de haine ? La réponse est évidente tant la Kabylie en a subi tous les jours depuis des décennies, mais, dans un moment purement humain, nous étions incapables d’admettre qu’on puisse ériger la haine, la violence et le racisme au rang d’une institution qui prétend agir en respectant les lois, les pactes internationaux ratifiés par l’Algérie et en garantissant le respect et la sécurité des biens et des personnes, seule et unique mission naturelle assignée à toutes les polices qui se respectent de par le monde.

A la veille de la marche du 20 mai décidée en réponse à l’empêchement de celle prévue le 20 avril dernier dans le cadre de la célébration des printemps de Kabylie (1980 et 2001), un ami militant me contacte pour me prévenir qu’il allait se charger de m’y accompagner avec une autre amie. Le lendemain et contrairement à ses habitudes, aucun signe de vie de notre accompagnateur. Je me trouvais à Alger. En moi, l’inquiétude commençait à prendre ses quartiers. Il était 6h du matin quand j’ai décidé de contacter un ami commun qui était, lui aussi, en proie aux mêmes questionnements. Nous apprenions plus tard que notre accompagnateur était arrêté à Alger et avait passé la nuit au commissariat d’où il n’a été relâché qu’à 09:30.

Ayant compris que la situation commençait à se gâter et qu’il allait falloir me débrouiller toute seule, j’avais déjà pris la route, seule, en direction de Tuvirett. Je suis arrivée à destination à 9h et, bizarrement, il n’y avait aucun barrage qui nous avait arrêté. C’est à l’entrée de la ville que je commençais à appréhender la situation. Arrivée au niveau de l’université, la présence d’une quarantaine de véhicules et des centaines d’hommes en uniforme s’imposa à mes yeux. Cependant, toujours pas la moindre trace de militants. Le décor commence à m’angoisser sérieusement. Je décide aussitôt de me réfugier à l’intérieur de l’université d’où j’ai tenté vainement de joindre plusieurs militants(es). Au bout de plusieurs tentatives, j’entends enfin, à l’autre bout du fil, la voix de Châvane qui m’informa qu’il y a eu une rafle contre nos militants et ce, dès les premières heures de la matinée et que la prudence était de rigueur. Juste après, un appel d’un autre militant m’en apporta la confirmation.

Pendant tout ce temps, j’ai senti la présence constante d’un homme derrière moi. Était-il en train d’espionner mes conversations ? Guidée par la peur, j’ai décidé de quitter l’enceinte de l’université. Dehors, j’ai retrouvé Belka. Enfin, je ne suis plus seule et ce, bien que la même présence policière semblait être renforcée. Nous continuions de progresser et, nous croisâmes Lounis qui, apparaissant plus au fait des circonstances, nous conseilla-t-il de rebrousser chemin pour rejoindre une quinzaine de militants qui nous attendait, plus loin, dans une cité. Aussitôt, je suis interpellée par un policier qui me demanda d’abord mes papiers. Ensuite, s’adressant au groupe, il demanda d’où nous sommes venus et pourquoi aujourd’hui ?

J’ai gardé le silence pendant que les garçons répondaient du tac au tac. A à moment, il y avait crainte qu’il ait clash entre le flic et ses interlocuteurs du moment, et pour cause, le ton était vite monté d’un cran et Lounis qui voulait en découdre avec les harcèlements du policier, lâcha : « Oui, nous sommes du MAK et alors ? Où est le problème ? ». Le policier qui semblait n’attendre que cette confirmation, me saisît par la main et nous fit monter dans un fourgon de police où nos appareils téléphoniques et nos pièces d’identité furent confisqués.

Arrivés à la centrale, on m’isola des garçons. Une policière est venue vers moi et m’emmena dans une salle où j’y ai découvert la présence de mes sœurs militantes, Rachida, Manissa, Tasedda, Celia et Tiziri. La policière entama une fouille sur moi qui ne tarda pas à se transformer en une agression physique, tant la brutalité était insupportable. Naturellement, je ne me suis pas laissée faire et ma réaction de révolte était sans concession. Une autre policière intervint en me lançant : « Eh toi, tu arrêtes. Tu es tombée avec la gentille, si c’était moi, tu verras comment qu’on fouille les gens de ton espèce ». Je l’ai narguée du regard puis, devant son regard haineux, j’ai préféré jouer à celle qui obtempéra à sa sommation. Pendant un laps de temps où on a pu s’échanger quelque mots, Manissa et Tasedda m’ont dit que ces policières n’avaient rien à voir avec celles de Tizi, tant leur racisme et leur anti-kabylisme étaient sans commune mesure. Mes amies m’apprirent aussi qu’avant mon arrivée, elles avaient reçu un nombre incalculable de coups de pieds et de gifles… Cela n’est pas pour me rassurer mais, le courage de mes amies était aussi contagieux !

Une policière se mit à fouiller mon sac d’où elle tire mon drapeau kabyle. N’ayant rien trouvé d’autre qui symbolise mon identité. En s’approchant de moi, elle se saisit de mon collier portant le Azza amazigh et l’arracha avec agressivité. Ayant été touchée, je lui lançai : « yak Tamazight langue officielle, nagh d aghuru kan !!?? ». Il n’aura pas fallu plus que ça pour qu’elle me jette par terre en me menaçant que mon interrogatoire allait venir.

Nous ignorions ce qu’ils faisaient subir à nos amis militants qui étaient dans d’autres pièces. Nous pensions à eux pendant les rares minutes où nous avions pu respirer. Les autres militantes étaient exténuées. Manissa n’avait pas le droit de s’asseoir. Les autres étaient assises à même le sol. Une pluie d’obscénités se déversa sur nous comme jamais on en a entendu. Mes amies avaient besoin de se rendre aux sanitaires, elles subirent une fin de non recevoir de la part des deux policières non kabyles dont la masse corporelle était des plus impressionnantes. Quand ce fut mon tour de demander à me rendre aux toilettes et contre toute attente, l’une d’elles me prit par le bras et m’y emmena. En cours de chemin, elle s’était enquise de mon âge.

– « 18 ans », répondis-je. Elle semblait étonnée.

– « Mais pourquoi tu as fait ça ? » m’a-t-elle dit.

– « Mais, qu’est-ce que j’ai fait ? ».

– Elle continua : « Écoutes, tu es jeune. Tu n’es pas comme les autres. Restes tranquille, réponds à nos questions, signes ton PV et tout se passera normalement pour toi. Ensuite, tu veux de l’eau ou aller aux toilettes, je serai là pour toi. Même si tu as envie de manger, je sais que vous avez faim, je t’achèterai moi-même un sandwich. C’est pour ton bien, je ne veux pas que tu subisses ce que les autres ont subi ». Une gentillesse de façade. J’allais vite déchanter.

Quand mon tour d’être interrogée est venu, Tiziri me fit signe de refuser de signer le PV. Une policière l’ayant vue, elle se précipita sur elle, lui asséna de violents coups de pieds et plusieurs gifles tout en l’injuriant. Je me rendis à mon interrogatoire en compagnie de la policière qui m’a suggéré de coopérer. Deux hommes étaient là. Un agent de la BRI et un autre assis qui était chargé de rédiger le procès verbal. A l’entame, je faisais mine de répondre naturellement. Soudain, la policière lui tendit mon drapeau en lui disant :

– « Regardez zbel qu’on a trouvé sur celle-là ».

Mon sang n’a fait qu’un tour mais, conscient de l’étendue de leur haine, j’ai fait mine de ne pas être touchée. Cela dit, touchée dans mon amour propre, ma manière de répondre avait sensiblement changé pour devenir pesante et peu encline. Quand je me taisais, la policière sortait de ses gans et le rédacteur du PV, un Kabyle, tentait de ramener un peu de calme en me disant : « nous sommes tous des Kabyles, alors, ne t’énerves pas pour rien. Je suis autant kabyle que toi ma petite ».

Derrière lui, un cadre de Ameziane Mhenni était saisi au par avant. De mon index je le lui montre puis je me lève et le salut puis lui dit ceci:

– « Lui, c’est un kabyle comme moi. Massinissa Guermah est un kabyle comme moi. Mais vous, non. Vous représentez un autre type de kabyles ».

Le policier me demanda de préciser lesquels. Sarcastique, je répondis :

– « Les traîtres, voyons ! ».

La réponse provoqua une crispation de son visage, la colère était évidente, il se leva et avant de quitter la salle, il demanda au BRI de continuer la rédaction du PV. La policière, quant à elle, s’acharna de plus belle sur moi. Recroquevillée sur moi-même, toujours sur la défensive pour me protéger un tant soi peu, elle me porta de violents coups de poing au dos et des coups de pied. J’avais mal partout. Elle me poussa vers la sortie et me plaqua violemment au mur. Elle m’ordonna de me retourner. Celle qui a tenté de m’amadouer s’était totalement volatilisée pour laisser apparaître la véritable nature d’un agent rongée par la haine du Kabyle. La position dos au mur devenait intenable au fil des heures. Aussi, quand la force semblait vouloir me quitter, je bougeais, ce qui m’a valu à chaque fois une nouvelle tempête de coups de tout genre avant de me remettre dans ma position initiale. Il était 12h ou 13h et la position debout que j’étais tenue d’observer depuis le matin était devenue un supplice. Je sentais qu’un malaise se mettait en place dans mon corps. La soif était telle que j’avais des brûlures au niveau de mon œsophage. Je réclamais de l’eau, je n’ai eu que des coups, encore des coups…. Soudain, je vomissais. L’une des policières kabyles demanda de me faire sortir. Sa collègue arabe lui rétorqua :

– « Non, jamais. Elle n’a qu’à vomir ici ».

Se tournant vers moi, elle me menaçait :

– « Si tu continues de vomir sérieusement, tu essuieras tes vomis avec ton tee-shirt et je te l’enfilerai après ».

Son autre collègue arabe qui était dans son coin, renchérît :

– « Ça lui apprendra à ouvrir sa gueule et à faire monter la tension au collègue du PV ».

Malgré mon état déplorable, j’ai trouvé la force de lui répondre en lui disant :

– « Votre collègue s’est senti mal parce que la vérité fait mal ». Cette audace m’a valu une autre gifle et un luciférien : « Wach men la viriti… ».

Cette séquence de violence et le temps qui s’étirait, ont considérablement aggravé mon état. Je vomissais à nouveau et je sentais mes dernières forces abandonner. On procéda alors à mon transfert vers une autre salle. Manissa et Rachida me rejoignirent, puis, lorsque mes déjections se sont arrêtées, ce fut le tour de Tiziri. Brisée, je m’asseyais de ne pas pouvoir me tenir debout et les coups de pieds fusaient jusqu’à ce que je me relève … Aussi, au moindre signe de l’une de nous, c’est nos têtes qui sont cognées au mur. Nous étions interdites de communiquer entre nous et toute tentative de le faire, était aussitôt violemment réprimée.

L’image qui me marquera à jamais, ce fut lorsque moi, Manisa au milieu et Tiziri à gauche étions dos au mur, galvanisées par la violence aveugle que nous subissions, nous entonnâmes en chœur l’hymne national Kabyle ! Une policière se précipita sur Manisa, la tira férocement et l’aplatit sur le mur d’une telle violence ! Sans aucune humanité § La violence était d’une intensité qu’on aurait juré qu’elle n’était qu’un morceau de bois sans âme ni vie §

Puis, c’était le tour de Tiziri qui n’avait pas supporté le choc. Sa respiration s’accélérait et un malaise la gagnait progressivement dans l’indifférence totale. Manissa criait qu’il lui fallait en urgence un médecin. Un homme passait par là et remarqua la scène. Il ramena deux médecins. Tiziri hurlait par terre, son bras semblait paralysé. Le verdict du médecin était sans appel. Il fallait l’évacuer en urgence à l’hôpital. La policière intervint pour imposer son veto. Devant une situation qui devenait critique, le médecin fait fi de l’obstination de la policière et décida de l’évacuer quand même.

Après près de trois heures de plus à l’intérieur des locaux du commissariat, nous étions enfin relâchées non sans avoir fouillé nos téléphones portables. Dehors, je reconnus Manissa et Tasedda ainsi que l’écrivain Larbi Yahioun. Je me joignis à eux pour attendre la libération de nos autres camarades encore otages de la police algérienne. Non contents de nous avoir torturés, une centaine de policiers et d’agents de la BRI sont apparus et nous ont poursuivis jusqu’à la sortie de la ville de Tuvirett. Nous fîmes traqués / « Rentrez chez-vous » nous disaient-ils, comme si nous étions interdits de séjour la-bas : « rentrez à Tizi ! ». Puis quand les policiers sont rentrés, c’était des agents de la BRI qui sont venus nous menacer directement de quitter les lieux sous peine de nous reconduire au commissariat. A bord d’un bus, nous nous rendîmes à Raffour rejoindre les autres militants; puis à Tizi Ouzou.

Arrivée chez-moi, je ne pouvais décrire mon abattement et les douleurs qui déchiraient mon corps de toute part. Au lieu de me démoraliser, je me voyais grandie et fière d’avoir pu mener, avec tous les autres, une action de lutte. La marche n’a certes pas eu lieu, mais notre action est une victoire à plus d’un titre. Nous avions démontré que le racisme anti-kabyle était une culture chez l’Etat algérien, ses institutions et que le racisme anti-kabyle est l’une des exigences faites à leurs agents recrutés en Kabylie… Nous avions démontré également que le mouvement souverainiste Kabyle est une famille déterminée et qui porte un combat noble et pétri de valeurs humaines.

Vive le MAK-Anavad
Vive la Kabylie Indépendante

Tannirt, 18 ans, étudiante en L1 Mathématique et Informatique, militante du MAK-Anavad

SIWEL 280939 May 17 UTC

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