ASSASSINAT D’AMEZIANE MEHENNI : TEMOIGNAGE POUR L’HISTOIRE OU LES DESSOUS DE SON MEURTRE

Avril ou mai 2004, Ferhat MEHENNI revenait d’Algérie où il avait donné une série d’interviews dans lesquelles il appelait à l’union des rangs des forces politiques en Kabylie pour faire barrage à l’agression commise par le régime algérien après le printemps noir de 2001. Nous étions en plein chantier de construction du projet d’autonomie de la Kabylie.
Personne ne pouvait imaginer ce qu’allait être la suite tragique qui frappera Ferhat MEHENNI, son épouse et ses enfants dans leur chair.

De retour d’Algérie et dès sa descente d’avion à l’aéroport de Paris Orly, il m’appela immédiatement. J’étais sur mon lieu de travail.
Nous avions quelque peu échangé sur la situation en Kabylie. C’était plus tard qu’il m’apprît ce qui lui était arrivé alors qu’il se trouvait dans l’enceinte de l’aéroport d’Alger.
Je disais donc, à sa descente d’avion il m’appela au téléphone. Après m’avoir salué, ses premiers mots étaient : tu ne pourras pas imaginer ce qui m’est arrivé aujourd’hui (le jour de son voyage) alors que j’étais à l’aéroport d’Alger en train de prendre un café. Un homme, avec dans une main le journal El Watan qui venait de publier ce jour-là une interview que je venais de lui accorder, s’est approché de moi en me lançant des invectives auxquelles je n’ai rien compris.
D’abord de façon calme et correcte il me lança : Franchement qu’est-ce qui te manque pour ne pas être comme tes amis de combat ? (Il cite des noms).
Comme eux tu aurais pu disposer d’autant d’avantages, villas, appartements et d’autres moyens encore !
Soudain, il changea de ton employant un langage plus véhément et agressif. En ouvrant le journal en question il m’apostropha : « Non ! Toi tu veux l’autonomie de la Kabylie. Bien ! tu verras ce que tu verras ! »
Et en me vouvoyant cette fois-ci, il ajouta : « Vous regretterez le jour où vous êtes né (s) »
Loin de nous l’idée de connaître la tragédie qui allait suivre. Nous avions cru à une opération de représailles contre la Kabylie qui avait réussi le coup de force de chasser les gendarmes de son territoire après ce qu’ils ont commis comme crimes contre une population pacifique.
Quelques jours plus tard, la prophétie maléfique du monsieur en question se réalisa non pas dans ce que Ferhat et moi avions prédit mais différemment.
Dans la nuit du 18 au 19 juin 2004, ce qui est inimaginable et irréparable se produisit. Ameziane MEHENNI venait d’être poignardé mortellement devant le moulin rouge à Paris.
Évidemment le lieu choisi ainsi que la date de l’assassinat ne sont pas fortuits et ne manquent pas de symboliques. La première est le lieu par excellence pour mieux salir l’image de ce jeune que je connaissais très bien et dont la probité n’est pas à démontrer. Ainsi, il devenait tout à fait plausible de maquiller cet assassinat en crime crapuleux sous couvert d’un meurtre pour règlement de compte.
La seconde, la date, il s’agit de celle du coup d’État militaire en Algérie qui eut lieu le 19 juin 1965.
C’était la meilleure des façons de nous dire et nous rappeler qu’ils sont toujours là et que rien ni aucune force ne peut quoi que ce soit contre eux. L’assassinat politique est leur culture favorite.

Le soir de l’assassinat, j’ai eu beaucoup à parler avec la dernière personne avec laquelle il se trouvait avant sa mort.
Il s’agit d’un jeune homme qui devait être du même âge que lui. Ils étaient ensemble jusqu’à minuit quand ils venaient de finir de manger ensemble dans un restaurant. Selon ses dires Ameziane aurait reçu un appel téléphonique pour se rendre à un rendez. C’était ainsi qu’ils s’étaient séparés.
Ce garçon que j’ai retrouvé à Bondy la nuit du meurtre n’arrêtait pas de pleurer. Il était inconsolable car il se reprochait le fait de l’avoir laissé partir tout seul.
J’en parle tout juste pour rétablir les évènements dans leur juste vérité et, surtout, dire à celles et ceux qui ont échafaudé tant de scénarios pour salir la mémoire du défunt et approfondir la tragédie et le deuil des parents.
Je leur dirai que l’assassinat d’Ameziane était et reste un crime politique pour des raisons politiques tendant à abattre moralement son père pour le soumettre et à renoncer à tout activisme politique.
La suite, tout le monde la connait aujourd’hui …

NAT ZIKI

SIWEL 191310 JUN 22