La lettre d’un kabyle à Kameleddine Fekhar : « je ne peux imaginer te voir partir »

Lettre ouverte à mon frère Kameleddine Fekhar

Bonjour mon frère Kamel,

Je ne te connais pas en personne, nous ne nous sommes jamais rencontrés, jamais croisés. Mais j’ai toujours voulu te connaitre, enfin depuis que ton nom a commencé à être connu du grand public. Tu étais militant du FFS, tu étais militant des droits de l’homme avant de devenir militant pour l’autonomie du peuple mozabite.

Tu as commencé à voyager à l’étranger pour faire connaitre la situation désastreuse dans laquelle vivaient tes frères dans la vallée du Mzab. Tu es allé rencontrer des personnalités, tu as participé à un grand rassemblement aux côtés de Ferhat Mehenni et Yella Houha. La photographie immortalisant votre amitié et votre sourire plein d’enthousiasme a vite fait d’affoler les gardiens du temple. Ton activisme tous azimuts a vite fait peur aux dirigeants de la Ripoublique démocratique et populaire. Ta lettre S.O.S adressée au Secrétaire Général de l’ONU leur a donné des sueurs froides.

La résistance passive et active du peuple mozabite leur donnaient des insomnies. Alors ils ont décidé de briser l’organisation et la solidarité légendaire du peuple mozabite. Ils ont décidé de faire taire les cris de révolte de ce peuple pacifique qu’on n’a pas cessé de bousculer et de harceler depuis 1962.

Il fallait donc arrêter le porte-voix de ce peuple, n’est-ce pas frère Kamel? Leur ennemi numéro un est un médecin, un homme cultivé et instruit, un humaniste très écouté, un politicien courageux.

Ainsi donc ils ont arrêté la colombe, brisé ses ailes et l’ont emprisonnée dans une cage.

Mon frère Kamel,

Bien que je sois à plus de neuf mille km de toi, je ne cesse de penser à toi, à ta famille, ta femme, tes enfants et surtout ton dernier né que tu n’as pas eu la chance de voir venir au monde.

Je me dis, dans mon for intérieur, comment peux-tu accepter de te laisser mourir de faim? Je comprends bien à quel point tu es dégoûté et découragé par la privation de la liberté ainsi que par les pénibles conditions carcérales des prisons algériennes. J’imagine à quel point ils ont essayé de te faire perdre la raison dans ces cellules froides comme des cimetières en hiver et suffocantes de chaleur comme des fournaises en été. J’imagine les humiliations et les choses insupportables qu’ils te font subir, mon frère Kamel.

Mais je t’avoue, il y a une chose que je ne peux imaginer : je ne peux imaginer te voir partir, abandonnant tes enfants, ton bébé, ta femme, tes parents, tes amis et ton peuple.

Je me souviens de la tristesse que j’ai ressenti en apprenant un matin la mort du militant irlandais Boby Sands survenue le 5 mai 1981 suite à la grève de la faim qu’il avait entamé depuis mars. Il avait 27 ans et venait d’être élu député, (le plus jeune député à l’époque). Il avait été arrêté et jugé comme un criminel.

Pour réclamer un statut de prisonnier politique, il déclencha une grève de la faim. Avec ses 9 camarades.

A l’époque, on espérait que la reine d’Angleterre ait un peu de compassion pour ces jeunes idéalistes. Elle est restée de glace comme les dirigeants séniles de l’Algérie.

Mon frère Kamel,

Bobby Sands est mort, ainsi que ses 9 camarades ! Son nom est devenu mondialement connu. Un film (Hunger) joué par Steve McQueen relate son histoire. Les Iraniens ont donné son nom à la rue qui jouxte l’ambassade d’Angleterre. Des hommages lui ont été rendus dans plusieurs pays. Mais en Algérie, il est resté méconnu.

Tu ne mérites pas de mourir. Nous ne voulons pas avoir un autre Bobby Sands dans le Mzab ! Tu ne dois pas abandonner, et nous laisser. Nous avons besoin de toi. Ta femme et tes enfants ne veulent pas te perdre à jamais. Ta revanche sera de sortir de la prison vivant comme un grand résistant ! Tu seras notre Mandela!

Je t’en supplie, ne sois pas insensible à l’appel du cœur des gens qui t’aiment.

Yidir A.
SIWEL 201757 Mar 17

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