Mémorandum – partie 3 : de la manifestation de l’Etat kabyle à travers l’Histoire

MEMORANDUM

POUR LE DROIT A L’AUTODÉTERMINATION DE LA KABYLIE

Déposé à l’ONU le 28 septembre 2017

Partie 3 : De l’Etat kabyle

 

L’Etat kabyle a souvent été un ensemble de fédérations stables. Cependant il ne se manifeste qu’à des périodes cruciales de l’histoire de la Kabylie, comme pour l’adoption d’une importante loi, ou pour repousser un envahisseur. Du fait de leur langue, de leurs coutumes et de leurs valeurs communes, sur un territoire continu, les Quinquégentiens se vivaient comme un peuple au sens où l’on dépassait déjà le cadre tribal par des alliances fédérales engageant toutes les régions de la Kabylie. Cet Etat a toujours été démocratique. Parallèlement, les royaumes de Bougie (1067-1510), la chefferie des At Abbas (1510-1872) et de Koukou (1512-1640), en ont été les manifestations les plus visibles.
Dans leur étude, en trois volumes, parue entre 1872 et 1873, intitulée « La Kabylie et les coutumes kabyles », Hanoteau et Letourneux écrivaient :

« L’organisation politique et administrative du peuple Kabyle est une des plus démocratiques et en même temps, une des plus simples qui se puissent imaginer. Jamais, peut-être, le système de self-government n’a été mis en pratique d’une manière plus complète et plus radicale ; jamais une administration n’a compté un nombre aussi restreint de fonctionnaires et n’a occasionné moins de dépenses à ses administrés. »

Ils poursuivent : « L’idéal du gouvernement libre et à bon marché, dont nos philosophes cherchent encore la formule à travers mille utopies, est une réalité depuis des siècles en Kabylie. Là, en effet, le peuple est tout et suffit à tout ; le gouvernement, l’administration, la justice ne coûtent absolument rien à la communauté… »

Ces deux chercheurs français avaient trouvé des institutions qui avaient fait leurs preuves contre la Régence turque d’Alger et que la France coloniale cherchait à effriter pour installer les siennes. L’étude de Salem At Seyd, nous en montre les articulations et la solidité du fait de leur ancrage dans la démocratie fédérative.

Ainsi donc, face au « Pouvoir absolu » des monarchies européennes (Louis XIV : « l’Etat c’est moi ») et du despotisme oriental, la Kabylie vivait depuis très longtemps les conditions de la « Démocratie absolue ». Chaque citoyen y était en droit de dire « L’Etat, c’est nous tous et chacun d’entre nous». C’est ce qui vaut à la Kabylie une extraordinaire stabilité dans sa gouvernance. Elle avait un « système démocratique berbère traditionnel » (Roberts) fondé sur la « tajmaat », l’assemblée villageoise ou de l’arch (une fédération de municipalités) et ne reposant pas que sur les liens du sang.

En 1527 – alors que la renaissance battait son plein en Europe – la Kabylie passe progressivement à un système de gouvernance fédérale reposant sur une appartenance politique. C’est un système étatique qui ne ressemble à aucun autre. En effet, le modèle de gouvernance de la Kabylie à cette époque opère un changement majeur. C’est l’émergence d’une gouvernance fondée sur des ligues fédérales unifiant les archs. Ces « deux appareils politiques » se nommeront Basse ligue et Haute ligue fédérales de Kabylie. Chaque arch ou partie de arch sera désormais lié à l’une ou l’autre ligue. Et cela du voisinage d’Alger aux confins de Vgayet (Bougie), Tuvirett (Bouira) et Sétif. C’est cette organisation qui prévaudra encore pendant la période contemporaine après 1830, époque où, la Kabylie résistera fort longtemps aux appétits coloniaux français.

Dans le monde, il a fallu attendre l’avènement de la jeune démocratie américaine en 1776 pour voir un système démocratique analogue. Dans un contexte international très hostile, la seule faiblesse que recelait la vieille démocratie kabyle était son attachement à un modèle d’Etat le plus horizontal possible. Tout en tirant de lui une extraordinaire vitalité, la Kabylie avait pris conscience de la nécessité de disposer de « lieux de centralité ». Son Etat a fini par démontrer sa capacité à « verticaliser » ses fonctions régaliennes sur tout ou partie de son territoire, notamment l’Exécutif National et la Défense.
C’est cette centralité décisionnelle qui amena aux délibérations dites « de 1748/49 »[1] et à la réaffirmation de la souveraineté du Droit kabyle sur toute autre considération allogène ou religieuse. Cette non-reconnaissance du Droit musulman sur la Terre kabyle est édifiante. En vertu du système des ligues, ces délibérations valent pour l’ensemble des alliés. Et il se trouve que c’est à cette époque que fut prise la décision d’exhéréder la femme, non pas par discrimination sexiste, mais pour déchoir les descendants du Bey Mohamed Ben Ali de toute prétention à l’héritage en Terre kabyle. C’était un acte de résistance contre le colonialisme de l’empire ottoman. Cela peut même expliquer les raisons d’une guerre généralisée des Etats ottomans (Alger, Constantine et Oran) contre la Kabylie. Malgré tout, la Kabylie sortira victorieuse de cette guerre de 1767-69 au prix de milliers de morts. Le Droit islamique (chaaria) n’aura plus de prééminence en Kabylie.

Plus tard, même après avoir perdu la bataille d’Icerriden, la mort un mois plus tard de son héroïne, Fadma n Summer, et surtout après l’échec traumatisant de la révolte de 1871, la France coloniale n’avait jamais réussi à abattre les institutions pérennes kabyles, notamment celles de la délibération (Tajmaât), des Ârch et de la justice. En 1920, l’administration coloniale se plaignait toujours de la désertion de ses tribunaux par les Kabyles. Une administration autochtone parallèle continuait de fonctionner loin de celle de la colonisation. Aujourd’hui encore de nombreux différends trouvent une issue loin des tribunaux algériens. C’est sur ces institutions que s’est appuyée le FLN-ALN pour livrer la guerre de décolonisation de l’Algérie que la Kabylie avait portée à bras le corps.

Pendant les luttes de pouvoir entre factions régionales engagées au lendemain de l’indépendance, c’est avec le soutien de ces institutions séculaires que le FFS a pu livrer la guerre contre Alger. Ce fut la première tentative postcoloniale de remettre sur pied un Etat kabyle modernisé. Une fois que le FFS a perdu la bataille, le pouvoir algérien n’a jamais cessé de s’attaquer à elles pour les démanteler. La dictature de Boumediene avait favorisé l’exode rural pour affaiblir les assemblées de village, puis recouru à leur noyautage par le néo FLN, érigé en parti unique, dans le but de les contrôler par la terreur, la délation et la corruption. En vain.

La révolte populaire d’avril 1980, appelée depuis, le « Printemps berbère », fut un cinglant revers pour Alger. Ni les notables de la guerre d’indépendance (les anciens maquisards) sur lesquels il s’appuyait, ni les militants du FLN n’avaient pu empêcher la Kabylie de descendre dans la rue et d’infliger au pouvoir algérien sa deuxième remise en cause politique depuis 15 ans. Le MCB (Mouvement Culturel Berbère) tentera durant plus de 10 ans d’incarner l’espoir de renaissance de l’Etat kabyle. Il tira sa révérence après son baroud d’honneur réussi du boycott scolaire ayant duré toute l’année 1994-1995. L’avènement de la « démocratisation » de l’Algérie avait transféré cet espoir d’un Etat kabyle moderne vers les deux partis rivaux que sont le FFS et le RCD. Insérés dans le jeu institutionnel algérien ils ont fini par être broyés et devenir des éléments d’obstruction à une Kabylie indépendante.

C’est au moment où l’on croyait mort tout espoir d’Etat kabyle qu’au printemps 2001,qu’en réaction au massacre de jeunes manifestants pacifiques kabyles par les troupes algériennes (130 morts au « Printemps Noir » 2001-2003), deux structures voient le jour en même temps. Le mouvement des Archs et le MAK.
Pendant trois ans, les Archs ont été une véritable réémergence de l’Etat kabyle mais dont les membres ignoraient le réel fonctionnement. Ce fut la résurgence de l’une des structures étatiques kabyles les plus anciennes, les fédérations territoriales qui remontent aux Quinquégentiens d’il y a plus de deux mille ans. Nul mouvement n’avait réussi, avant lui, à faire descendre deux millions de Kabyles à Alger (14/06/2001) pour défendre le droit à la vie. Pendant trois ans, aucun officiel algérien n’avait pu fouler le sol de la Kabylie.

Toutefois, leur plateforme de revendication (Plateforme d’El-Kseur) était un ensemble de 15 doléances hétéroclites sans objectif politique stratégique. Il ne tarda pas à péricliter.

C’est le MAK (Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie), pourtant né en même temps que les Archs, qui va structurer, patiemment et méthodiquement, l’espoir d’un Etat kabyle moderne. Une réaffirmation de la nécessité d’une résurgence de l’Etat kabyle est exprimée de 2001 à 2010, sous forme d’une demande d’autonomie, dans le cadre d’une Algérie plurielle. Mais à partir de 2011, c’est un Etat, au sens plein du terme, qui est revendiqué pour une Kabylie indépendante. C’est ce Mouvement qui, de nos jours, mobilise l’écrasante majorité des Kabyles, notamment tous les 20 avril. Le MAK est, aujourd’hui, sans conteste, la première force politique de la Kabylie. Il est l’organisation dans laquelle le peuple kabyle se reconnaît le plus, et qui porte avec fierté son aspiration la plus partagée, celle d’une Kabylie libre et indépendante.

Le premier juin 2010, un gouvernement provisoire en exil, « l’Anavad », est mis sur pied par le président du MAK. Il vient de signer les conventions de Vienne et de les déposer à l’ONU.
L’Anavad est, de nos jours, le seul représentant légitime du peuple kabyle. C’est à ce titre et au nom de la Kabylie, qu’il introduit auprès de l’ONU et de l’Union Africaine la présente demande pour l’organisation d’un référendum d’autodétermination du peuple kabyle dans les meilleurs délais.

[1] Selon l’Historien kabyle Boulifa, les dates réelles de ces délibérations seraient en réalité plus proches de la guerre de 1767-69.

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SIWEL 040727 Oct 17 UTC

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