TOULOUSE (SIWEL) – Samedi 20 juin 2015, en hommage à feu Matoub Lounes (l’artiste kabyle assassiné en 1998 , qui écrivit : « Pourvu que l’un de nous survive, il attisera le feu de la mémoire… »), l’Association Kabyle de Toulouse (AKT) a organisé une journée culturelle qui a commencé avec une conférence débat avec mass Ahmed Haddag, autour du thème « la vie, l’œuvre et le combat du rebelle » à l’Espace des Diversités et de la Laïcité. Ahmed Haddag, militant Kabyle, ancien militant du MCB, ancien secrétaire général et porte-parole de la Fondation Matoub Lounes est aujourd’hui Ministre des institutions au sein du Gouvernement Provisoire Kabyle (GPK).

 

Youva, l’animateur de l’association, a ouvert la commémoration en souhaitant la bienvenue au public toulousain et en remerciant les autorités locales (la mairie de Toulouse dont Mr Laurent Lesgourgues conseiller municipal présent dans la salle).

Après une brève présentation de l’événement, une projection du film documentaire intitulé « Matoub Lounès, la voix d’un peuple » réalisé par Youcef Lalami (réalisateur Kabyle) a été proposé à l’assistance. Ce film émouvant est un documentaire entre témoignages des gens du peuple, témoignage de différentes personnalités (l’Anthropologue Nadia At Ouferoukh, sa sœur et La chanteuse Malika Domrane sans oublier le militant Masine Ferkal). Au milieu du film, retentirent des applaudissements chaleureux dans la salle lors du passage de la chanson poignante "Monsieur le président".

L’animateur enchaîna en accueillant Mas Ahmed Haddag dont le parcours parle de lui-même : militant depuis son jeune âge, culturellement et politiquement parlant car il était un militant du MCB, Cadre du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD). Il se retrouve, ensuite, au haut-commissariat pour l’amazighité qu’il quitta trois ans après sa constitution, il est actuellement Ministre des Institutions au sein du Gouvernement Provisoire Kabyle (GPK).

Après une minute de silence observée pour tous les martyrs de la liberté, le conférencier entama son discours par un bref message chaleureux de Nna Aldjia Matoub, un message de salutations à l’attention du public toulousain. « A chaque fois qu’on parle de mon fils c’est une renaissance ».

Dda Ahmed décrivait l’enfance de l’artiste comme une partie importante de son avenir car il a grandi loin de son père immigré. Le conférencier raconta une anecdote pour cerner le caractère du jeune Lounès. "Matoub avait mis le feu à une cabane de foin et l’armée française est venue en alerte pensant qu’il s’agissait de maquisards..". Ensuite vint le choc de l’école algérienne et là encore une autre anecdote. " Une fois, le maître sorti de la classe, Lounès effaça le tableau et écrivit en tamazight, en plus de cela, il gifla son maître en lui disant « j’écris avec la langue que j’aime »! Le père de Lounes s’était déplacé à l’école et à la surprise générale il gifla également le pauvre maître." La personnalité du rebelle se dessine, une fois au Lycée professionnel où travaillait son père comme cuisinier. Au service national, il est confronté encore durant deux ans au racisme des arabes. Tout cela nourrit l’artiste à se révolter à travers ses chansons, Son père, Dda Omar, lui offrit un mandole. C’est alors que Lounès commença à animer toutes les fêtes et les évènements culturels de la région car il était doué et talentueux.

Avec ses chansons engagées, sa vie privée devient vie publique. « A chaque épouse, un drame » cita le conférencier. Djamila sa première épouse a vécu avec lui l’évènement d’octobre 88 où il a été touché par des balles de la gendarmerie algérienne à Michelet. Cela lui a valu 17 interventions chirurgicales.
Lors de son union avec Sadia (hôtesse de l’air) sa seconde femme, l’artiste fut enlevé et séquestré en 1994 et grâce à la mobilisation de la Kabylie et du MCB (mouvement pour la culture berbère) il fut libéré sain et sauf. Cette épreuve l’avait affecté moralement. A sa libération, ses ravisseurs (les islamistes) lui avait confié un message au peuple kabyle « nous avons le même ennemi, nous sommes deux contre le pourvoir ». Matoub partit en France pour se soigner.
Sa dernière épouse Nadia a assisté à son assassinat à Tala Bounane à proximité de Larevaa n At Dwala. Avant son assassinat.

Toutes ses expériences et ses malheurs le rendaient encore fort et rien ne l’empêchait de continuer à lutter. Militant de la cause, son parcours est consacré aux siens afin de rétablir leur l’histoire.

Il a eu des récompenses du monde entier tels que : Le prix de la mémoire en 1994 remis par Danièle Mitterrand pour son combat. En1995, il reçu le premier prix de la liberté d’expression attribué par un collectif de journalistes québécois. Il fut invité à la Marche des Rameaux en Italie sur invitation pour la campagne pour l’abolition de la peine de mort.

Mass Ahmed Haddag est revenu en détails sur l’évènement de 1988 : Matoub était venu pour prendre des nouvelles de L’Assemblée Générale des étudiants de Tizi Ouzou, les militants Siam Elmahdi et Massine Ferkal ( qu’on a vu précédemment dans le film de Youcef Lalami) lui remettent des tracts afin de les distribuer dans les villages pour la mobilisation et le mettent en garde vis-à-vis des autorités algériennes. Entre Larvaa nath irathen et Michelet le véhicule de l’artiste est interpellé. Il fut criblé de 5 balles de kalachnikovs, tirées à bout portant. Il est emmené à l’hôpital de Michelet où on le lâcha par terre en disant au corps médical « tenez votre chien !!». 17 interventions s’en suivirent mais le combat continue. Malheureusement, en 1998, les balles meurtrières, à Tala Bounane, étaient, cette fois-ci, mortelles.

Le Ministre des Institutions raconta le retour de feu Matoub chez lui. Lui qui venait d’achever sa dernière œuvre, un « chef d’œuvre ». Les circonstances de son assassinat restent ambigües mais l’histoire fera son travail….

C’est ainsi que le conférencier termina son discours laissant place au débat. Mais avant cela, l’élu, Mr Djillali Lihiani remercia l’association AKT sachant que son activité contribue à la richesse culturelle de toute une région. Les kabyles toulousains présents ont saisi l’occasion pour demander à l’élu, une rue au nom du rebelle. Ce dernier les invita à monter un dossier.

Le débat était intéressant avec des questions diverses. Un témoignage de Dda Mohand sur "cet artiste était toujours partant pour chanter pour les causes nobles et justes telle que la cause des détenus pour la liberté d’expression".

La question de l’enquête sur son assassinat remonte toujours à la surface. Le constat de Mas Haddag à ce sujet est pessimiste, 17 ans après ce terrible assassinat. « Tous les assassinats seront élucidés par l’histoire »

D’autres questions s’enchaînèrent telle que la mémoire des trois victimes des émeutes suite à cet assassinat. Le conférencier invite les Kabyles à un devoir de mémoire. « la Kabylie n’oublie pas ses martyrs et chaque fois des hommages sont rendus pour honorer nos hommes ».

Au sujet du sort de la fondation Matoub qui est lié à un problème de moyens, elle existe toujours à titre symbolique mais le peuple kabyle doit être mobilisé autour de nos valeurs défendues par Lounes. « Lounes est un symbole très fort de kabylité, tous les kabyles se reconnaissent en lui, tous les kabyles se reconnaissent dans son combat ».

Que serait l’opinion de Matoub vis-à-vis du MAK (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie)? Dda Ahmed répliqua qu’il a évolué dans son parcours de militant, il a commencé par se battre pour une Algérie démocratique, de liberté et de prospérité mais Lounes a évolué en parlant de fédéralisme malheureusement irréalisable dans une dictature. Alors, il s’est tourné vers la Kabylie. Dans une vidéo, il manifeste son souhait pour une République Kabyle Autonome d’ailleurs un de ses projets phares était de créer une banque kabyle.
Répondant à une question d’un intervenant qui disait que le rebelle était mal aimé par les siens, Mas Haddag répondit que « Matoub a bousculé les mentalités », il a cassé beaucoup de tabous. De plus, il disait haut et fort ce que le peuple pensait tout bas !

Dda Ahmed termina en remerciant toute l’assistance et avec une note d’espoir « Cela fait 17 ans que Lounes a était assassiné, et aujourd’hui il y a des enfants, nés après son assassinat, qui parlent de lui comme s’ils l’avaient côtoyé.»

L’évènement se clôtura avec un récital artistique avec une brochette de chanteurs Kabyles de Toulouse, parmi lesquels Youcef, Karim et Slimane sans oublier les musiciens Farid, Dahmane et Achour dont la douceur des mélodies et la chaleur de leur voix assurèrent une fin de journée bien remplie.

Pour bien achever son passage à Toulouse en beauté, Mas Haddag a tenu à rendre hommage à Dda Slimane Azem en se rendant à Moissac. En cours de route Dda Ahmed a confié sa joie quant à la conférence et que c’est toujours un plaisir renouvelé que de parler et de penser au rebelle. Mas Haddag tenait vraiment à rendre hommage à un autre grand artiste de la chanson kabyle Slimane Azem . « J’ai réalisé ce rêve aujourd’hui à moitié malheureusement les locaux sont fermés mais j’espère revenir sur la tombe. Se fut une journée bien remplie et merci à tous »

Jean Jaurés le toulousain disait " Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ". Matoub incarne bien cette citation !

Dans la salle, Fadila, une Matoubiste de cœur a tenu à dédier cette activité commémorative, à son père décédé il y a deux ans , à Ameziane Mehenni et à tous les martyrs de la liberté.

F.Guedache
SIWEL 212301 JUIN 15

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