SEDDOUK: ARIS TAFOUGHALT, LA VOIX D’UN JEUNE MILITANT À FLEUR DE L’ÂGE QUI S’OPPOSE AUX AUTORITÉS LOCALES

SEDDOUK (SIWEL) — « ARABISATION ET FRANCISATION AU PROFIT DE L’AMAZIGHITÉ AU SEIN DE L’APC DE SEDDOUK », c’est un thème évoqué par : Aris TAFOUGHALT, militant et défenseur de la cause Berbère.

La Commune de Seddouk a développé et imposé une idéologie arabo-islamique, laquelle considère que la diversité linguistique est un danger pour l’unité nationale et un germe de division, et que seul l’unilinguisme arabe peut être garant de cette unité nationale.

Y’a un certain temps, où l’Amazighité a eu un peu de lumière à l’international, comme l’apparition du clavier berbère et l’inclusion de tifinaɣ sur google, par certains marocains en compagnie d’autres berbères, et d’autres régions ont vu même des panneaux de signalisations et panneaux de bienvenues à leurs entrées principales. À Seddouk, le cœur de la patrie et de la résistance, du jour au lendemain, on se réveille face à un géant panneau numérique sur la façade principale de l’A.P.C., nous souhaitant la bienvenue en seulement deux langues, qui sont coloniales : La première, c’est la langue arabe, la seconde, est la langue française; Tout en ignorant l’essentiel, la langue amaziɣ(kabyle)

Sur le plan économique, cette A.P.C. de Seddouk n’a pas de manque en écrans géants sur sa façade, plus qu’aux fréquentes coupures d’électricité en 2021, à savoir que, des quartiers à forte densité n’ont pas été raccordé au réseau électrique principal, tel que le quartier d’Iɣil Ḥ’mama… et cela, sans parler du gaz de ville, des routes dégradées ou bien, de l’alimentation des foyers en eau potable qui est régulée de façon aléatoire, tantôt au bénéfice de ces quartiers, tantôt pour les quartiers de Vgayet ville, pourtant ils sont juste à proximité du géant Tichy-haf.

Aujourd’hui, la plupart des plaques portant les noms des rues à Seddouk, sont écrites en deux langues, l’arabe et le français, et certaines rues, ont gardé leurs noms de l’époque « en français ». À l’heure actuelle, si la publicité commerciale est généralement française, parfois bilingue, Arabe-Française, l’affichage gouvernemental et l’affichage municipal demeurent unilingues, c’est-à-dire, en arabe.

Les autorités locales de Seddouk ont toujours agi comme si les berbérophones n’existaient pas ! Pourtant, la région a donné sept (07) martyrs durant printemps noir kabyle de 2001 et plusieurs détenus pendant le printemps berbère de 1980.

Cette politique d’arabisation a entraîné plusieurs conséquences fâcheuses, elle a polarisé les différences entre les élites, que le système d’éducation actuel continue largement de reproduire. La politique d’arabisation a aussi favorisé l’émergence du nationalisme berbère voir kabyle. L’arabisation et la poursuite de l’arabité, ont eu comme corollaire l’islamité… c’est pourquoi, les autorités locales de Seddouk se sont toujours appuyées sur une politique d’arabisation, car celle-ci consacrait la légitimité de l’état dont l’islam est le dépositaire. La religion a été ainsi utilisée comme un instrument pour contenir une possible progression des mouvements laïcs et démocratiques Kabyles. En même temps, elle a favorisé les mouvements extrémistes islamistes et permis, d’augmenter leur influence politique jusqu’à menacer le pouvoir en place.

Or, les Souddekois se sont toujours opposés à cet état arabo-islamique, duquel ils se considèrent exclus en tant que groupe ethnique, Ils ont toujours refusé cette interprétation de l’histoire exclusivement arabo-musulmane et cette conception arabo-centrique de la question nationale.

On constate bien qu’en réalité les changements sont mineurs. Certes, le Tamaziɣt est déclaré également « langue nationale et officielle », mais il demeure subordonné à l’Arabe. Si « l’Arabe demeure la langue officielle de l’État », ce n’est pas le cas pour le Tamaziɣt. Les autorités locales de Seddouk s’engagent à utiliser l’Arabe, mais se contente d’œuvrer à la promotion et au développement de Tamaziɣt, ce qui n’implique pas que les autorités l’utiliseraient. De plus, le fait de privilégier toutes les variétés Amaziɣ, mais une seule variété d’Arabe, risque de noyer le poisson dans l’eau. C’est appliquer le principe bien connu de « diviser pour mieux régner ». Rien ne change dans cette Commune, ni l’arabisation coranique, ni la non-égalité juridique de Tamaziɣt, ni le statut dévolu au Français.

Comment expliquer la crispation des autorités locales sur la question de la langue ?

Ceux qui connaissent l’histoire et le combat pour la revendication de Tamaziɣt, ne peuvent s’étonner de la réaction du pouvoir qui est constante. Les propos tenus aujourd’hui par les autorités locales de Seddouk sont ceux entendus en 1963 par le pouvoir en place, quand on a sciemment dénaturé la revendication démocratique qu’exprimaient les maquisards menés par Aït-Ahmed en Kabylie, en la faisant passer pour un séparatisme, les mêmes aussi, qu’en 1980, quand on a transformé en contestation politique la revendication avant tout culturaliste des lycéens et étudiants qui, lors du « Printemps Berbère », ne réclamaient que la reconnaissance de leur langue. Le fait que le pouvoir réponde par le mépris, voire la répression, ne peut que conduire à une politisation et à une radicalisation, car quoi de plus légitime que de revendiquer sa langue et sa culture, parties intégrantes de l’histoire et de l’identité ?

Cette radicalisation à Seddouk ne risque-t-elle pas de se retourner contre une région souvent présentée comme moins « Rebelle » que le reste de la Kabylie ?

Dans la situation actuelle, tout est possible, compte tenu de la volonté des autorités locales de diviser les Seddoukois en factions, comme on a déjà pu le voir avec d’autres mouvements. En cela, le sort réservé aux Kabyle n’est guère différent de celui fait aux mouvements associatifs que les autorités locales ont utilisé et mis en avant pour se donner une façade de modernité, sans rien changer, la population de Seddouk a fait preuve d’une patience et d’une maturité politique étonnantes : Elle n’a cessé de dénoncer les autorités locales sans basculer dans la violence. Si elle en est arrivée à manifester sa colère contre l’A.P.C. de Seddouk et ses représentants, c’est parce-qu’elle s’est toujours sentie humiliée et bafouée, aucune reconnaissance de Tamaziɣt n’ayant été tenue au sein de la commune. Dès lors, comment des couches importantes de la population, dont on refuse de reconnaître l’identité, pourraient-elles ne pas se sentir exclues ?

Existe-t-il à Seddouk un risque d’affrontements plus larges, et donc de dérives incontrôlables ?

À Seddouk comme partout en Kabylie, il y a deux générations de culture très différentes : La première est sans doute plus encline à réaliser la synthèse culturelle qu’impose la diversité; La seconde est beaucoup plus radicale d’autant qu’on a toujours refusé de prendre en compte sa différence au nom de l’unité de la nation.

Cela dit, il n’est pas étonnant que, dans la situation actuelle, des manipulations de toutes sortes viennent jeter de l’huile sur le feu et aggraver la confusion pour désigner cette population comme anti-arabe ou anti-musulmane, ce qu’elle n’est pas. Si des jeunes refusent d’être totalement Arabisés, c’est parce que l’arabisation telle qu’elle est faite, exclut toutes les langues sauf celle parlée et imposée par un pouvoir inique et anti-démocratique. Cette volonté d’arabiser est en fait une volonté de « déberbèriser » et de « soumettre » une région traditionnellement contestataire, mais qu’on préfère accuser à tort d’irrédentisme. Imposer l’Arabe officiel comme seule langue à un peuple qui parle le Kabyle, le Tamaziɣt ou le Français, est un déni de la réalité qui montre une fois de plus, la coupure entre autorités et population. La fragmentation de la société sur laquelle les autorités locales jouent ne reflète que leur absence de militantisme sur la question de la langue Tamaziɣt. Leur vulnérabilité provient du fait qu’elles se sont imposées et se trouvent du coup dans l’incapacité réelle d’établir un consensus au sein duquel les différents groupes se reconnaîtraient et reconnaîtraient par là même leurs dirigeants. Cela dit, on met trop en avant les tendances les plus extrémistes du mouvement au détriment des politiques et des intellectuels, la manipulation d’une colère légitime entraînerait une dérive et une cassure dramatiques.


SIWEL 230920 FEV 21