DIASPORA (SIWEL) — En mémoire des événements du 20 avril 1980 , de L’assassinat par le pouvoir algérien de 128 jeunes kabyles en 2001 et aussi en hommage à Lounes MATOUB qui seront à jamais notre fierté!

UNE LANGUE PUISE SES RESSOURCES DANS LA LITTÉRATURE POPULAIRE

Voici des propos recueillis par Moh CHERBI

 

UNE LANGUE PUISE SES RESSOURCES DANS LA LITTÉRATURE POPULAIRE

Voici des propos recueillis par Moh CHERBI

Militante de la cause amazighe, Sakina Aït Ahmed appartient à cette génération d’hommes et de femmes qui oeuvrent pour la promotion de la langue et de la culture Kabyle en particulier et amazigh en général.

Sa première force est sans doute sa conviction. Très jeune, elle a été confrontée comme tant d’autres, à la censure: sa langue et sa culture étaient proscrites dans son propre pays. Décidant de suivre le chemin de ses aînés, Boulifa, Féraoun, Mammeri, Taos Amrouche, elle part à la recherche de ce qui reste de la littérature amazigh pour la protéger et l’offrir aux générations futures.

Pour mieux remplir sa mission,elle opte pour des études en linguistique. Elle prépare aujourd’hui à l’Université de la Sorbonne un troisième cycle.

Consciente du manque flagrant d’outils et de moyens pédagogiques pour l’enseignement de Tamazight, elle vient de consacrer aux contes et proverbes trois ouvrages qui aident à combler un vide durement supporté pendant longtemps par les enseignants de Tamazight.
Elle a participé à de nombreux séminaires internationaux (à Sidi Fredj et Ghardaïa).

MOH CHERBI : Après Le Tambourin magique et le Recueil de Proverbes berbères de Kabylie- INZAN, voici un troisième livre, Mḥend uccen, destiné aux enfants…

Sakina Aït Ahmed/Slimani : En effet, ce troisième ouvrage est un conte animalier destiné aux enfants. Je pense qu’il véhicule certaines valeurs culturelles et sociales riches d’enseignement pour les enfants.

M/C : Vous poursuivez vos investigations dans le patrimoine littéraire ancien. Est-ce seulement pour sauver des richesses léguées par les ancêtres “avant que la mort ne les happe” comme le disait Mouloud Mammeri, ou s’agit-il de répondre à une demande de jeunes qui souhaitent connaître cette littérature?

S.A.A : Les deux à la fois. Je ne crois pas à la pérennité d’une langue montée de toute pièce en laboratoire, sans aucun soubassement culturel. Pour être reconnue par les locuteurs en tant que patrimoine culturel véritable, une langue puise sa source dans la littérature populaire à savoir: les contes, les proverbes, les énigmes, la poésie(..). L’espace est aussi largement ouvert à la créativité personnelle.
Il y a lieu d’ajouter qu’avant d’être publiés, ces contes sont un peu retravaillés, enrichis de certains détails qui font souvent défaut. Il faut se mettre à la place du conteur en situation d’oralité qui doit assurer la prouesse de se remémorer et de reproduire fidèlement et sans faute, la trame du récit.
Il doit aussi se souvenir de certains détails essentiels. Sinon tout le monde connais la beauté d’un conte raconté dans l’atmosphère féerique des soirées d’antan, par le biais de la parole, mais de nos jours il ne peut plus résister, le combat étant inégal, à la concurrence de la télévision, et de toutes ces images qui nous viennent d’ailleurs. Cette ouverture sur l’universalité et la modernité est nécessaire, à nous de nous y adapter, en passant à l’écrit, comme le font toutes les langues du monde.

M/C : Les contes et la poésie sont certainement les deux genres littéraires les plus privilégiés dans toutes les littératures orales et particulièrement berbère?

SAA : Certainement, ces deux genres littéraires occupent une place prépondérante dans la littérature orale. Nous avons connu dans notre histoire un peu plus ancienne des poétes talentueux: Yucef u Qasi, Larvi At Béjaoud, Ali Amrouche, Si Muh U Mhend…..Cependant, grâce au recul nécessaire pour comprendre les mécanismes d’autres genres littéraires, on ne peut sous-estimer la valeur littéraire des proverbes, des énigmes.

M/C : Est-il facile d’être à la fois militante et chercheur?

Il n’est jamais facile d’être à la fois militant et chercheur. Pour faire de la recherche, on a besoin d’une certaine sérénité. C’est cette situation de déni identitaire voulue par les pouvoirs successifs dans notre pays qui nous oblige à lutter sur deux fronts.
Notre génération est condamnée à assumer une position d’une intense gravité. Aujourd’hui, c’est notre existence même qui est menacée. Nous assumons une responsabilité historique pour les générations futures dont le sort dépend de notre capacité à nous mobiliser, à nous sentir concernés, à nous rassembler! Aujourd’hui il faut casser le discours idéologique de ceux au pouvoir qui flattent les conservatismes à travers une conception mythique et inexistante d’une langue arabe unique qui serait parlée de Djedda aux fins fonds du Sahara! Même dans le cas des algériens arabophones, tous les linguistes sérieux disent que l’arabe parlé par exemple en Algérie, au Maroc est une koïné, c’est-à-dire une langue autonome, issue du malaxage du berbère et de l’arabe qui n’a aucun lien direct avec l’arabe classique qui plus est est une langue morte!

Pour ce qui est de Tamazight, notre langue ancestrale, aujourd’hui, l’échec de l’enseignement des langues amazighs est patent que ce soit au Maroc suite à sa constitutionalisation ou en Algérie suite à sa reconnaissance en langue nationale.
Les créations par ces pouvoirs arabo islamiques tant de l’ IRCAM que du HCA qui ne sont hélas que des outils à la solde de ces pouvoirs pour mieux saboter l’enseignement des langues amazighs!

M/C : Le militantisme agit-il comme un stimulant pour un chercheur ou bien comme un facteur qui pourrait l’influencer et diminuer sa rigueur scientifique?

SAA : Le militantisme ne diminue pas la rigueur scientifique à condition que le politique serve uniquement à donner un cadre, des moyens notamment financiers à la recherche et au développement de la langue et de la culture. Par contre, elle n’a pas à s’immiscer pour définir l’orientation des recherches. On le sait à travers plusieurs exemples cités plus haut que les immixtions politiques pour orienter et ou contrôler la recherche en général et celle des langues en particulier, n’ont jamais fait bon ménage!
L’engagement militant ne peut qu’inciter à produire encore plus

M/C : Revenons à votre recueil de proverbes. Ce n’est qu’un extrait, mais un extrait significatif

SAA: Bien sûr, ce recueil ne peut pas prétendre représenter tous les proverbes et leurs variantes. Je me suis attachée à reproduire disons à peu près, deux régions: celle des At Mangellat et des At Jennad

M/C : Quelle est la fonction du proverbe en littérature en général et dans la littérature berbère en particulier?

SAA: Le proverbe a une fonction sociale. Il jaillit spontanément en situation de communication soit pour appuyer un argument, soit pour clore une discussion de façon magistrale. D’autre part, les créateurs des proverbes, ont un sens aigu de l’observation des comportements humains, des animaux ou de ceux qu’on peut attribuer à la nature et parfois aux esprits.
Ils font un usage de ces éléments, de façon inséparable avec les sous-entendus et les sens cachés de la langue. D’où cet aspect très métaphorique et imagé.
De manière générale, le proverbe est vu comme une sagesse véhiculée par un usage populaire.

L’hypothèse a consisté aussi à tenter de démontrer l’existence ou non du lien entre les symboles, les images les métaphores utilisées dans ces proverbes et les conditions de leur emploi:

Adfel yekkat deg wedrar smum ines di swaḥel “La neige tombe en montagne, son poison est dans la plaine”
“une fois qu’il est a neigé, l’air se radoucit en montagne, mais il étend son âpreté dans la plaine” comme “on subi les effets d’un acte même de loin”

Azduz ddaw teslit, tislit teggumma ad d tenteq “Le maillet est sous la mariée, la mariée ne peut pas parler”
La mariée est assise sur le maillet, mais elle ne peut rien dire, car un interdit lié au rite de la fécondité, l’astreint à garder le silence. Comme il nous arrive de cherche désespérément un objet qu’une personne présente a remarqué mais elle ne veut pas l’indiquer

C’est extraordinaire: On voit bien comment l’usage des métaphores, des images n’est pas fortuit. Il y a bien un lien entre ces métaphores et les conditions d’emploi des proverbes!

M/C : En plus de sa richesse métaphorique, le proverbe présente souvent des rimes à des fins esthétiques. Il y a une curieuse ressemble avec le poème?

SAA: Ceci me fait dire que le proverbe est poésie et expression philosophique. Je reprends l’expression de L. Senghor à propos du proverbe africain: “Il conserve la forme qu’il avait dans les temps anciens, celle du poème, court poème.”
Cette affirmation est si vraie, qu’elle s’applique aisément aux proverbes kabyles qui sont souvent composés d’une image symbole, d’ordinaire exprimée à l’aide d’une métaphore :

Yeţţnadi ɣef izuṛan n tagut “il cherche les racines du brouillard” dit le proverbe kabyle de qui cherche l’impossible.

M/C: Entre proverbes et poèmes, énigmes, où sont les limites?

SAA: Il y a un chevauchement des deux genres. On peut aller loin dans la comparaison, dans la mesure où l’ambivalence et parfois la multivalence de l’image du proverbe suggère l’idée d’une vérité à découvrir, d’une énigme à résoudre.
La ressemblance peut aller loin, si bien que nous avons relevé des cas de chevauchement des deux genres:
Axxam yeččur d isɣaren ula s wayes nehreɣ aɣyul “La maison est pleine de bâtons, je n’en trouve aucun pour mener l’âne”.
Ce proverbe kabyle qui a l’aspect d’une énigme inachevée (sans clé) est une devinette dans deux langues du Maroc.

M/C : Certains proverbes sont de véritables langages codés, par exemple: “Ifrax leqwden iwzan”. Ce proverbe est cité pour généralement pour éviter que les enfants ne saisissent une conversation secrère d’adultes.

SAA: Oui! On remarque ici, l’usage d’une métaphore, une sorte de comparaison enfants-oiseaux. D’ailleurs ce n’est pas anodin si en tachelhit on nomme “un garçon” afrux et “une fille” tafruxt. En kabyle, on a :“acqcic/taqcict/tahdayt etc… on a aussi le mot afrux (iw) pour faire référence à un amoureux.

M/C :Si on doit définir le proverbe, est-ce que les trois termes :Poésie, Code, Langage, peuvent le résumer?

SAA :De manière extrêmement brève, on peut définir le proverbe ainsi: son aspect binaire et /ou ternaire, la rime en font un petit poème:
“Win yevɣan ad izur lemqam, ad ixdem lewqam; ad izwir deg at wexxam” (Qui veut visiter les lieux saints, qu’il fasse le bien en commençant par les siens)

L’aspect métaphorique en fait un code. C’est aussi un travail sur la langue et ici sur la parole “acte de volonté et d’intelligence” car le “proverbe est le cheval de la parole: quand la parole se perd, c’est grâce au proverbe qu’on la retrouve”. (Citation Yourouba)

M/C : Qui produit les proverbes?

SAA : Ce sont les initiés, les imusnawen détenteurs du savoir ancestral, qui ont un sens aigu de la poésie et qui maîtrisent l’art de la manipulation de la métaphore. Certains proverbes sont attribués à des personnages de renom comme Chikh Mohand:
“Azzel ad d tawid, Vedd ad twalid qim ulac (Hâtes toi et bouge tu rapporteras, debout tu observeras, assis rien ne te parviendras". D’autres proverbes sont produits par des anonymes.

M/C: La création est donc permanente?

SAA : Incontestablement, de nombreux proverbes sont anciens, mais il n’est pas impossible qu’il puisse y avoir des créations et ou des adaptations plus récentes. Prenons l’exemple de ce dire attribué à Si Muhend U Mhend:

Ad nerrez wala ad neknu (Mieux vaut rompre que plier).

Plus récemment, il a été transformé notamment lors des luttes revendicatives: ţţif taruzi kennu, ţţif lmut azaglu “Mieux vaut la mort que de plier sous le joug”)

M/C:
La langue berbère a besoin de production

SAA :De plus en plus de de personnes prennent conscience de passer de l’oral à l’écrit et de produire des livres.

M/C : Votre souhait pour Tamazight

SAA :Mon profond souhait pour Tamazight et particulièrement la langue kabyle c’est de créer nos propres institutions pour standardiser la langue pérenniser son enseignement à travers une école et des outils pédagogiques dignes de ce nom!

Une chose est sûre tant qu’on est encore vivants “ Ur s nverru yara i ṭvel deg waman”. Il nous appartient de prendre notre avenir en main et de nous engager résolument dans le respect mutuel de nos opinions mais aussi dans l’unité de façon à réhabiliter LA POLITIQUE car malgré tout “si on ne s’occupe pas de la politique, la politique s’occupe de nous” et le plus grand danger est que si nous continuons à donner des signaux négatifs de la chose politique il y a d’autres qui le feront à notre place et en notre nom et certainement pas dans notre intérêt

Enfin, jadis, la parole d’un homme, d’une femme, se mesurait à sa capacité à manier Awal “le Verbe, la Parole” et non à simplement manipuler toutes ces richesses éphémères parfois acquises de manière douteuse et par des compromissions honteuses!

Sakina AIT AHMED

Laisser un commentaire