Que retenir de l’excellente communication des indépendantistes catalans?

COMMUNICATION (SIWEL) — En ce premier jour dominical d’octobre, le monde entier avait les yeux rivés sur la Catalogne. Même les médias de cette vieille Europe qui ont tenté, pendant tout le mois de septembre, d’ignorer l’actualité catalane se sont retrouvés contraints à consacrer plusieurs minutes au référendum organisé par la Generalitat (gouvernement catalan). Comment serait-il possible d’échapper à un véritable torrent d’images et de contenus, qui a inondé les réseaux sociaux ?!

Ce qui s’est passé en ce premier octobre en Catalogne et ce qui suivra, c’est l’aboutissement d’une stratégie politique efficace et appuyée par une communication savamment orchestrée par les indépendantistes catalans. Et Pour mieux comprendre cette stratégie de communication politique, il est important de faire une rétrospective sur les différentes actions structurantes organisées par les indépendantistes catalans, au cours des sept dernières années. Il serait très utile, à mon sens, que le mouvement indépendantiste kabyle puisse accéder aux processus organisationnels qui ont permis l’élaboration de cette communication stratégique très efficace.

Pour comprendre ce qui fait de la Catalogne, aujourd’hui, un sujet de débat incontournable sur la scène politico-médiatique internationale, il faut sans doute remonter le temps. Plus précisément à l’année 2010. En effet, le virage indépendantiste prend son départ, le 28 juin 2010, suite à un arrêté du tribunal constitutionnel qui annule 14 articles du statut d’autonomie, sur le total de 223, à la requête du PP, le parti politique libéral-conservateur espagnol. Cette bataille juridique a débuté quelques années auparavant, suite à l’adoption par référendum, le 18 juin 2006, du nouveau statut de l’autonomie pour la Catalogne. L’objet principal des recours introduits par les conservateurs sont l’article 8 du préambule qui définit la catalogne comme une nation et l’article qui fait du catalan une langue obligatoire, au même titre que l’espagnol, et qui rend possible d’adresser des requêtes aux organes centraux de l’État espagnol en catalan.

La réponse juridique apportée par le gouvernement central espagnol aux revendications politiques du peuple catalan, ainsi que l’ostracisme opposé à un processus démocratique (référendum) a eu pour conséquence l’organisation d’une marche historique, le 10 juillet 2010, à Barcelone. En effet, plus d’un million et demi de Catalans ont participé à la marche connue sous le nom de « Som una nació. Nosaltres decidim » (Nous sommes une nation. C’est nous qui décidons).

Depuis, les observateurs de l’actualité en Catalogne parlent d’une stratégie politique intelligemment élaborée par les indépendantistes, comme s’ils étaient en campagne électorale permanente. En effet, entre les nombreuses consultations des citoyens et les différentes dissolutions du Parlement catalan, il y avait une volonté politique de sortir du piège de l’autonomie tout en enfonçant le gouvernement central espagnol de Mario Rajoy, qui ne cessait de s’enliser dans un juridisme complexe.

Les associations de la société civile ont joué, et continuent à le faire, un rôle très important dans la propulsion et la dynamisation du mouvement indépendantiste catalan. C’est bien ce qui a permis, dès le début, d’avoir le soutien de tous les partis politiques influents. Certaines associations existaient avant 2010, comme Omnium cultural (association qui œuvre pour la promotion de la langue et de la culture catalane et l’indépendance depuis 1961), qui a appelé et organisé la manifestation historique du 10 juillet 2010. D’autres associations de droite comme de gauche et organisations non gouvernementales ont été créées expressément pour accompagner et structurer la dynamique indépendantiste :

  • Asamblea Nacional Catalana (L’Assemblée nationale catalane, dite ANC), une organisation populaire fondée en avril 2011 et qui compte plus de 50 000 membres. L’ANC prend en charge l’organisation des référendums et les manifestations importantes, comme celles de la DIADA, le 11 septembre (fête nationale de la Catalogne).
  • L’Association des municipalités pour l’indépendance (AMI), qui regroupe les collectivités locales pour la défense des droits nationaux de la Catalogne et son indépendance depuis 2011.
  • Procès Constituent a Catalunya , une société fondée en 2013, défendant la construction d’un nouveau modèle politique et socio-économique pour la Catalogne.
  • Cercle d’Estudis Sobiranistes , un cercle consacré à la réflexion sur l’argumentaire juridique démontrant la viabilité de l’indépendance.

Il faut additionner à toutes ces associations et organismes consacrés à la réflexion et l’action, les nombreux sites internet multilingues et qui œuvrent tous pour la défense de l’indépendance de la Catalogne.

Malgré la diversité des visions sur le modèle sociopolitique de l’indépendance, toutes ces structures travaillent en étroite collaboration et solidarité. L’entraide va du partage des recettes financières à celui de l’élaboration des plans d’action communs. Tout ce travail s’est fait en concertation permanente avec le gouvernement catalan.

Dès 2013, les indépendantistes catalans aidés par leurs élites et le financement participatif ont réussi de très nombreuses actions d’envergure. En plus des nombreuses conférences et séminaires en Catalogne comme dans de grandes universités européennes, il y a eu la publication du livre Catalonia Calling : Ce que le monde doit savoir (Catalonia calling: arrenca la segona fase d’El món ho ha de saber  ») un projet de la revue d’histoire Sàpiens. Traduit dans plusieurs langues, ce sont 14 513 exemplaires qui auront été expédiés, notamment au Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon, au Dalaï-Lama, à Barack Obama et à tous les autres chefs d’État du monde, de même qu’à des universitaires et célébrités influentes comme Bono et Steven Spielberg et quelques stars de la chanson comme Béyoncé. Ce pamphlet de 145 pages contient de nombreux articles sur divers événements clés de l’histoire de la Catalogne. L’objectif tel qu’écrit dans la première page par la directrice de la publication, Clàudia Pujol, est « dans un premier temps pour faire connaître la Catalogne afin de pouvoir, dans un deuxième temps, la faire reconnaître ». Pour ce faire, écrit-elle, « il faut que les lecteurs puissent “explorer le passé, le présent, mais aussi le futur auquel aspire la majorité des Catalans.”

D’autres initiatives d’essais ont vu le jour par la suite, tel le livre What’s up with Catalonia , édité par Liz Castro, une Américaine catalanophile. Il renferme 35 essais émanant de certaines des personnes les plus influentes de Catalogne. En somme, le livre explore les tenants et aboutissants de l’indépendantisme catalan. Encore une fois, ce projet a été possible grâce au financement participatif. Dans un premier temps, 500 exemplaires du livre ont été expédiés à des politiciens influents, des bibliothèques, des journaux, etc. Le livre a également été traduit en espagnol sous le titre ¿Qué le pasa a Cataluña . Il est aussi disponible en version bilingue anglais/espagnol.

Les indépendantistes catalans ont compris, très vite, l’importance de la publication des ouvrages et leurs traductions dans plusieurs langues. L’objectif est de se faire connaître et sensibiliser le monde entier à leur cause, tout en recherchant des soutiens et de la légitimation. En l’absence d’un vrai État avec les pouvoirs régaliens, dont celui de la diplomatie, la Catalogne s’est tournée donc vers la diplomatie culturelle, notamment par le biais de la traduction. Cette dernière permet la circulation des idées, ce qui en fait une activité empreinte de pouvoir. Toute cette campagne de communication stratégique, excellemment orchestrée, est rendue possible par l’engagement d’une société civile au côté de son élite. Chacun, comme dans un travail à la chaîne, avait conscience qu’il était un maillon indispensable. C’est ainsi, que se sont constitués des groupes chargés de la production des contenus pour le web interactif, d’autres pour les traduire en plusieurs langues, et d’autres encore pour inonder les réseaux sociaux avec ces contenus.

Cette machine de communication s’est mise en branle dès le 6 septembre, date du vote par le gouvernement catalan de loi qui entérine la tenue du référendum d’autodétermination, le 1er octobre. Les Catalans ont occupé les rues dans des démonstrations de force monstres. Lors de la fête nationale catalane le 11 septembre, ils étaient des centaines de milliers à marcher et à fournir au monde des images très marquantes. Depuis, il y a eu les manifestations d’agriculteurs en tracteurs, de curés ou d’étudiants. En plus de tous ces rassemblements qui ont généré des images très appréciées des médias, les indépendantistes ont réussi à séduire l’opinion avec des messages simples et efficaces, comme “le vote n’est pas un crime” ou encore “démocratie”.

Face au gouvernement central espagnol qui s’enlisait dans une stratégie juridique complexe, les indépendantistes opposaient une stratégie politique appuyée par une communication efficace. Aux menaces d’empêchement du référendum, les militants indépendantistes ont opposé la détermination à protéger la démocratie et le droit au vote.

La lutte s’est jouée aussi sur les réseaux sociaux durant toute la semaine qui a précédé le référendum, avec encore plus d’impact le jour J. La propagande bien huilée des indépendantistes catalans a été actionnée sur les réseaux sociaux avec des messages très marquants. L’exemple de Titi, le canari des studios Warner Bros, devenu la mascotte des indépendantistes est très révélateur à ce sujet. En effet, lorsque le gouvernement central espagnol a envoyé, une semaine avant le référendum, plus de 4 000 agents et officiers de la Guarda civil, il a dû les héberger dans des ferries sur le port de Barcelone. Sur l’un des navires est peint Titi et Grosminet, deux personnages de la bande dessinée. Aussitôt, les internautes indépendantistes s’en sont saisis sur Twitter : « Le gouvernement donne un ultimatum à Puigdemont” : s’il ne renonce pas au référendum, il laissera Grominet manger Titi ». Les studios Warner Bros mécontents de voir leurs personnages associés à de la politique ont demandé à Madrid de les couvrir. Embarrassées, les autorités espagnoles ont donné l’ordre de le couvrir avec des bâches. De quoi alimenter, encore plus, les mots-clés #freeTweety ou #freepiolin qui ont été partagés des centaines de milliers de fois.

En tant qu’indépendantiste kabyle, je me suis posé la question de savoir comment notre mouvement pouvait s’inspirer de cette expérience catalane. Certes, nous n’avons pas la même réalité géopolitique ni la même histoire, mais nous luttons politiquement pour le même idéal. Celui des droits des peuples à décider pour eux-mêmes. Je pense que s’il y a un domaine dans lequel nous pouvons nous inspirer du mouvement indépendantiste catalan, c’est bien celui de la communication stratégique à destination de l’opinion internationale. Si la Kabylie veut être reconnue comme un peuple, un territoire, une langue et une culture, il faut d’abord qu’elle soit connue. De nombreuses actions ont déjà été menées par le gouvernement provisoire Kabyle en exil dans ce sens. Cependant, à mon avis c’est encore insuffisant pour propulser notre cause indépendantiste comme un sujet de débat sur la scène internationale.

Le travail diplomatique entamé depuis plusieurs mois par le MAK-Anavad doit continuer. Il serait certainement plus efficace s’il est accompagné par quelques actions, inspirées de l’expérience catalane.

Ci-dessous quelques actions que nous pouvons lancer dès à présent :

  • Transformation du mémorandum en un livre d’une dizaine de pages « Kabylia calling (D taqvaylit i d-yessawlen) » : Ce que le monde doit savoir  ». Ce livre est à traduire en plusieurs langues, à publier avec un financement participatif des citoyens kabyles et à envoyer aux personnalités politiques, artistiques connues. Nous pouvons faire au moins aussi bien que les Catalans, 15 000 exemplaires.
  • Constituer des groupes de réflexion sur les différents domaines en lien avec la cause indépendantiste kabyle, économique, juridique, sociologie, linguistique…
  • Mettre en place des groupes de traducteurs en différentes langues.
  • Former des groupes de communication numérique (étudiants en communication, en informatique…)
  • Encourager la création des sites internet, blogs et pages en plusieurs langues.
  • Encourager ceux qui produisent des contenus (textes, images, vidéos, chansons…)
  • Coordonner tous ces groupes par une instance qui travaillera en concertation avec la présidence de l’Anavad.

Si la question de la Catalogne fait aujourd’hui la une des médias internationaux et a fait sortir le Roi de son silence, c’est parce que derrière, il y a eu un travail continu depuis au mois sept ans. Les catalans ont su fédérer leurs compétences et leurs savoir-faire au seul service de leurs cause. Leur mouvement n’est pas aussi homogène qu’on puisse le croire, pourtant, le premier octobre dernier, il n y’a eu qu’une seule couleur, un seul drapeau et un seul objectif : L’indépendance.

Notre combat politique doit être porté par tous et sur tous les fronts. Il n y’a pas de petites ou de grande batailles. La bonne stratégie est celle qui permet de les gagner toutes.

Analyse reprise du blog independant-kabyle.com avec l’aimable autorisation de Hacène At Amar Wali
SIWEL 071200 Oct 17 UTC

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