Recueillement sur la tombe de l’éminent écrivain, anthropologue et linguiste kabyle, Mouloud Mammeri

Kabylie (Siwel)—Cet avant-midi du 28 février 2019 est consacré au recueillement sur la tombe de l’imminent écrivain, anthropologue et linguiste kabyle, Mouloud Mammeri. Une délégation de la coordination régionale Ouest du Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK) a emprunté le chemin de La Colline oubliée pour rendre hommage au fils de la Kabylie profonde Lmulud At Mɛammer, né le 28 décembre 1917, à Taourirt-Mimoun dans la commune d’At Yenni, et mort dans des circonstances nébuleuses le 26 février 1989 à Aïn Delfa à son retour du colloque d’Oujda, au Maroc, sur l’amazighité.

 Un instant de remémoration et de méditation durant lequel les membres de la coordination régionale Ouest ont déposé une gerbe de fleurs sur la tombe de l’auteur du roman Le Sommeil du juste.

 Quand je regarde en arrière, je n’ai nul regret, je n’aurais pas voulu vivre autrement … De toutes façons, un fantasme n’est jamais que cela. Je ne me dis pas : j’aurais voulu être un citoyen d’Athènes au temps de Périclès, ni un citoyen de Grenade sous les Abencérages, ni un bourgeois de la Vienne des valses. Je suis né dans un canton écarté de haute montagne, d’une vieille race qui, depuis des millénaires n’a pas cessé d’être là, avec les uns, avec les autres…qui, sous le soleil ou la neige, à travers les sables garamantes ou les vieilles cités du Tell, a déroulé sa saga, ses épreuves et ses fastes, qui a contribué dans l’histoire, de diverses façons, à rendre plus humaine la vie des hommes.

Les tenants d’un chauvinisme souffreteux peuvent aller déplorant la trop grande ouverture de l’éventail : Hannibal a conçu sa stratégie en punique ; c’est en latin qu’Augustin a dit la cité de Dieu, en arabe qu’Ibn Khaldoun a exposé les lois des révolutions des hommes. Personnellement, il me plaît de constater dès le début de l’histoire cette ample faculté d’accueil. Car il se peut que les ghettos sécurisent, mais qu’ils stérilisent, c’est sûr. 

C’est par là que je voudrais finir. Ceux qui, pour quitter la scène, attendent toujours d’avoir récité la dernière réplique à mon avis se trompent : il n’y a jamais de dernière réplique – ou alors chaque réplique est la dernière – on peut arrêter la noria à peu près à n’importe quel godet, le bal à n’importe quelle figure de la danse. Le nombre de jours qu’il me reste à vivre, Dieu seul le sait. Mais quel que soit le point de la course où le terme m’atteindra, je partirai avec la certitude chevillée que quels que soient les obstacles que l’histoire lui apportera, c’est dans le sens de sa libération que mon peuple – et avec lui les autres – ira. L’ignorance, les préjugés, l’inculture peuvent un instant entraver ce libre mouvement, mais il est sûr que le jour inévitablement viendra où l’on distinguera la vérité de ses faux-semblants. Tout le reste est littérature.

Mouloud Mammeri :

Les romans principaux de l’auteur: La Colline oubliée (1952), Le Sommeil du juste (1955) et L’Opium et le bâton (1965).
Il était enseignant à l’université, il assurait aussi bénévolement des cours de la langue tamazight depuis les années 70, à la merci des autorisations du régime algérien.
De 1969 à 1980, il dirige le Centre de Recherches Anthropologiques, Préhistoriques et Ethnographiques d’Alger (CRAPE)
L’interdiction d’une de ses conférences sur la poésie kabyle ancienne par le régime algérien à l’université de Tizi Ouzou, elle porte maintenant son nom, qui est à l’origine des événements du Printemps berbère de 1980.
En 1982, il fonde à Paris le Centre d’Études et de Recherches Amazighes (CERAM) et la revue Awal (La parole), animant également un séminaire sur la langue et la littérature amazighes sous forme de conférences complémentaires au sein de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Mouloud Mammeri a écrit et produit plusieurs romans, des nouvelles, des pièces de théâtre, des traductions et critiques littéraires. C’est un grammairien, un linguiste. Deux de ses œuvres littéraires sont adaptées au cinéma : l’Opium et le Bâton et colline oubliée.
En 1988, Mouloud Mammeri reçoit le titre de docteur honoris causa à la Sorbonne.

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