PRINTEMPS NOIR DE 2001, EN KABYLIE : RÉCIT D’UNE EXPÉRIENCE PERSONNELLE

KABYLIE (SIWEL) — Le 18 avril 2001 : une journée ordinaire d’un beau printemps qui s’annonçait, une journée ensoleillée, une brise douce caressant nos visages dans cette ville côtière, une des plus belles villes de Kabylie.

Nous étions en plein préparatifs pour la commémoration du printemps berbère de 1980. À l’époque, j’étais étudiant à Vgayet (Bejaïa), je m’en rappelle comme si c’était aujourd’hui ; en 2001, les smartphones et les réseaux sociaux n’existaient pas, mais la Kabylie était connectée autrement, connectée comment ? Je ne saurais vous l’expliquer aujourd’hui.

Le 18 juin 2001, l’information de l’assassinat d’un lycéen à At Douala (Tizi-Ouzou) fit le tour de VGAYET, la consternation se lisait sur tous les visages, nous étions tout à la fois, frustrés, enragés et bouillonnants.

Il suffisait d’une petite étincelle pour faire de nous des bombes humaines, prêtes à exploser. A cette époque, notre génération n’avait pas encore accepté, ni encore moins digéré l’assassinat en 1998 de Lounès Matoub. La colère était là, fulminante ! Nous criions toujours vengeance mais l’occasion ne s’était, alors, jamais présentée.

Le lendemain, c’était le rush pour se procurer les journaux, « Le Matin » ou « Liberté », pour avoir un peu plus d’informations sur l’assassinat du lycéen à At Douala. C’étaient nos journaux francophones préférés, ils étaient proches de nos convictions, les quotidiens arabophones, eux, ne se vendaient presque pas en Kabylie, car nous étions conscients du danger de leur endoctrinement sous-jacent.

Ces deux journaux francophones étaient notre seule échappatoire, notre bouffée d’oxygène, c’était sur leurs tribunes que nous pouvions accéder à l’information.

Les nouvelles furent là, les premières émeutes éclatèrent à At Douala ainsi que dans les localités avoisinantes. Entre temps, des collégiens à Amizour (Vgayet), pour montrer leur solidarité avec le lycéen Guermah Massinissa, lors d’une séance de sport, en se rendant au stade avec leur professeur, croisèrent une patrouille de gendarmes, et commencèrent spontanément à chanter la célèbre chanson de Matoub, plus exactement le passage  » Yidder waεṛav ahṛaymi deg ǧerǧeṛ yeṛẓayi ».

Les gendarmes réagirent immédiatement et embarquèrent les collégiens devant l’impuissance de leur professeur de sport. La nouvelle fit le tour comme une traînée de poudre, les premières émeutes éclatèrent à Amizour, puis El Kseur, Sidi Aïch, Akbou, Tazmalt, Vgayet, Aokas, Tichy, Souk El Ténine, Darguina, Seddouk… En réalité, toute la wilaya de Vgayet s’embrasa où toutes les brigades de gendarmerie se virent prises d’assaut par des jeunes révoltés. Tizi-ouzou s’embrasa également de bout en bout, bien sûr pour les mêmes raisons, l’assassinat de Guermah Massinissa.

Les nouvelles de ce qui se passait à Vgayet, leur donna encore plus de courage pour en découdre avec les gendarmes. Premières journées d’émeutes à VGAYET, plus d’argent de poche, les commerces fermés, la ville devenue un enfer, étouffante par l’odeur des pneus brûlés et le gaz lacrymogène lancé par les gendarmes et CRS. La vie devint difficile pour l’étudiant que j’étais, coincé à VGAYET, je voulais avoir des nouvelles de mon village à Tuviret. A l’époque, nous n’avions que le téléphone fixe dans les rares taxiphones ouverts, pour passer un appel de temps en temps afin d’avoir des nouvelles de nos proches. Les nouvelles arrivèrent, TUVIRET aussi s’était embrasée de bout en bout ! Il n’y avait plus de moyens de transport, toutes les routes étaient fermées à la circulation. Il fallait partir à pied, faire des escales d’un village à un autre pour rentrer chez soi.

C’était un cauchemar pour tous les étudiants, filles et garçons, c’était l’exode. En l’espace de 24h, toute la Kabylie s’était embrasée ! C’était l’apocalypse. Les premières victimes tombaient de partout en territoire Kabyle, c’était l’hécatombe !

Les faces à faces devinrent de plus en plus violents. Des gendarmes super équipés et lourdement armés, en face, des jeunes désarmés, qui n’avaient que la colère, des pierres et des cocktails Molotov pour se défendre.

JIJEL, BBA, SÉTIF, BOUMERDES, aucune localité kabyle ne fut épargnée, le pouvoir algérien avait quadrillé toute la Kabylie, des renforts de CRS, de gendarmes et même de parachutistes furent envoyés de partout, dans le moindre recoin de nos villes et villages. La Kabylie était isolée du monde et coupée du reste de l’Algérie.

Aucune solidarité manifestée !!! Pendant tout ce temps, les Algériens étaient aux abonnés absents pour les victimes kabyles. Eux, à notre grande surprise, ils étaient choqués par la mort d’un enfant palestinien tué par un militaire israélien et pour cela, des manifestations avaient lieu de partout en Algérie pour dire leur colère, leur soutien, alors que pour les dizaines de morts Kabyles, tombés sous les balles explosives des gendarmes algériens, QUE DAL, NADA !!! Nos victimes enterrées en Kabylie dans un mépris et une indifférence absolus !!! Merci à vous les Algériens pour votre compassion, elle nous va droit au cœur !

En me remémorant ces événements, je me suis rendu compte, quelques années après, que c’était en 2001, finalement, que nous avions réagi inconsciemment comme un Peuple, une Nation. Nous n’étions pas conscients de ce fait à l’époque, mais nous l’avions compris très vite. En effet, cette conscientisation a donné naissance au MAK quelques mois après ! Une création salutaire, salvatrice pour notre peuple kabyle !!!

Naravas
SIWEL 212258 AVR 21