POUR AMEZIANE ET LES SIENS

KABYLIE (SIWEL) — Dans la nuit du 18 au 19 juin 2004 à Paris, Ameziane, ancien animateur du mouvement des lycéens amazighs durant le boycott scolaire de la Kabylie et fils de Ferhat Mehenni, est lâchement assassiné. Pour briser son père qui a voué sa vie, toute sa vie, à la lutte pour la démocratie, les droits de l’homme, le triptyque langue/culture/identité ancestrales, la liberté et la paix, on a pris la vie de son enfant. La barbarie avait démontré qu’elle ne cessait de se réinventer et d’adapter son macabre modus operandi à chaque conjoncture, à chaque situation; montant, à chaque fois, d’un cran, dans l’horreur et la sauvagerie.

A cette époque, j’étais encore le simple militant de base dans un parti politique où j’étais déjà le « récalcitrant » tant, depuis 1999, je ne cessais, en interne, d’éreinter des choix politiques et des positions dont le sens m’échappait totalement et un fonctionnement qui me paraissait déjà trop verrouillé et opaque pour correspondre aux idéaux auxquels j’avais adhéré lorsque j’avais à peine 19 ans. Pour autant, j’aimais écouter ce qui se disait dans les réunions et autres rassemblements organiques au niveau régional (comprendre Tizi Ouzou) et national (comprendre Alger).

A propos de l’assassinat d’Ameziane, durant les premières semaines et pendant des années, j’avais entendu l’inimaginable, l’ignoble, l’obscène… et des discussions sans fin sur des scénarios d’une abjection et d’une indécence à faire pulvériser de honte une montagne. Je ne disais rien, je ressentais juste un malaise profond, mais n’ayant aucun élément d’information à ma disposition, je pensais bêtement que ce qui se disait ne pouvait qu’être vrai, ne serait-ce qu’en partie. Quand je me suis libéré totalement de l’emprise de mon attachement affectif à ce parti, j’avais alors réalisé l’étendue inouïe que pouvait atteindre la cruauté kabylo-kabyle qui peut aller bien au-delà de l’indifférence devant l’assassinat du fils d’un ancien compagnon de lutte. Sa vie durant, Matoub Lounès en a fait l’amère expérience et les exemples sont légion.

Aujourd’hui, il n’est pas question de convoquer le non-sens et l’ineptie pour observer une halte à la mémoire d’Ameziane, mais il est important de ne pas oublier des attitudes qui, à ce jour, continuent d’imprimer des comportements pour le moins nuisibles à une certaine pratique de la politique qui est totalement vidée de toute finesse et où l’humain est sacrifié au profit de l’ambition d’un chef et de ses lieutenants.

Le moment est donc au recueillement comme à chaque fois qu’une mémoire nous interpelle et, hélas, notre temps en est tellement parsemé que la mort nous accompagne à chacun de nos pas et tout au long de notre vie de montagnards, de démocrates, de laïques, de Kabyles… C’est aussi la raison pour laquelle, aucune abdication ne peut être envisageable. .

Aujourd’hui, je joins ma pensée à toutes celles et à tous ceux qui se sont rendus à Maraghna pour entourer la grand-mère et la mère d’Ameziane ainsi que toute la famille Mehenni et ce, en l’absence du père, Ferhat, exilé par l’Algérie arabo-islamiste avec le silence coupable des mêmes cercles kabylo-algériens qui prétendent, toute honte bue, « accompagner » une pseudo révolution qui, loin d’assumer la moindre question de fond, élude clairement tout ce qui remet en cause les fondements idéologico-politiques du système en place qui a élu son QG dans chaque crâne algérien.

Aujourd’hui, ma pensée va aussi et naturellement à Ameziane, ce brillant et chaleureux jeune homme qui aurait pu être le frère ou le fils de chacun de nous. Je n’ai pas eu la chance de le connaitre car, arraché trop tôt aux siens, à la vie, à la Kabylie et au combat de sont père. A ce propos, il est pour le moins révélateur que de soi-disant opposants au régime algérien n’aient jamais évoqué ce crime politique…(1)

En ce jour, je pense également au père d’Améziane, l’inaltérable Ferhat qui a connu toutes les privations, toutes les déchirures et même au-delà de ce qu’un esprit humain peut concevoir ou porter, pourtant, il est resté digne à bien des égards et égal à lui-même après plus d’un demi siècle d’une lutte tenace et sans répit. Au-delà des controverses qu’il suscite, il continue, de diverses façons, de marquer indélébilement la conscience collective et de reconfigurer, de fond en comble, la carte politique en Kabylie, en Algérie, voire au-delà.(2)

Enfin, ma pensée va à toute la famille Mehenni, notamment à Nna Wiza dont la vie est un véritable roman de tragédie et de grandeur, ainsi qu’à l’épouse de Ferhat qui, dans le silence et la résilience, a porté les lourdes retombées d’une longue lutte qui lui a tant pris. Qui lui a tout pris.


Allas DI TLELLI
SIWEL 182120 JUI 21


Notes:
(1) OULAHLOU – SILENCE (Hommage à Ameziane Mehenni) : https://www.youtube.com/watch?v=fxzrkUybqhA&feature=share

(2) INTERVIEW DE Ferhat MEHENNI par
LINA MURR NEHME – (19 juin 2019) : https://www.causeur.fr/farhat-mehenni-mohamed-mediene-assassinat-162413