MONTREUIL (SIWEL) — Vendredi 20 juin, un vibrant hommage a été rendu à Amziane Mahenni, assassiné à l’age de 30 ans à Paris, devenue capitale du crime politique et de la complaisance de l’Etat français avec les assassins d’Ali-André Mécili, d’Ameziane Mehenni, de Benbarka, des trois femmes activistes du Kurdistan et tant d’autres. Nous publions ci-après quelques messages et témoignages

 

La salle de l’association Taferka était trop exiguë pour accueillir toutes les personnes venues rendre hommage à Ameziane Mehenni, ravi à sa famille, à ses amis, à la Kabylie, à la fleur de l’âge. La justice française a classé son assassinat … "sans suite". Mais, aujourd’hui, la politique de complaisance de l’Etat français avec les assassinats exécutés sur son sol par ses amis politiques ou les régimes despotiques dont elle assure le maintien dans ses anciennes colonies, qui n’ont d’indépendance que le nom, ne trompe plus personne.

Au cours de cet hommage rendu à Ameziane Mehenni, plusieurs témoignages ont été apportés sur place, tandis que d’autres publiés via les réseaux sociaux ont été lu par l’assistance et que nous reproduisons ici.

Malika Domrane
J’avais connu Ameziane enfant et l’avais revu quelques fois pendant mon exil. Un garçon exceptionnel, une éducation top; C’était un enfant que chaque femme rêvait d’avoir comme fils. Partir aussi jeune ravive la douleur. J’ai une pensée pour lui, ses parents en particulier sa mère meurtrie à jamais.

MARK WANES
« Pour Ameziane la lutte doit continuer pour mener notre peuple vers la délivrance du joug qui nous écrase n’en déplaise aux docteurs en maths ou aux PHILO-ZOFF intronisés et je dis à Ferhat courage car la Kabylie indépendante jugera ses assassins »

Mouloud Younsi
Amezyan d gmat-neɣ, xas iqraḥ-ik, ur t-yettwali yiwen, nekk ssedhuyeɣ aqraḥ n n Teqvaylit akk s umennuɣ. I mi s umennuɣ i ssarameɣ ad rreɣ TAJMILT i wid ur neǧi allaɣen.

Rachid AMEUR
A l’occasion de cette commémoration, oh combien douloureuse et pénible pour toi et ta famille que nous partageons avec vous tous, je te réitère mon soutien et mon amitié les plus sincères.

Yasmina Oubouzar
Aujourd’hui Ameziane n’est plus là! ils l’ont tué lâchement comme ils savent si bien faire…un seul coup, fatal, qui alla se planter directement dans le ventricule! ce sont des experts. Assassiner, ils ont étudié pour ne jamais rater leur coup.

Ameziane était mon camarade à l’Inalco, je garde de lui le souvenir d’un jeune homme engagé, sincère et dévoué.
J’avais une grande affection pour toi (même si tu ne m’as jamais rendu mes cahiers de Tamasheq) 

Repose en paix Ameziane!

OLIVIER GRAINE
À Ameziane et à son Père,
L´Algérie est pensée comme une caserne avec des extensions civiles soumises à l´œil réprobateur de la mosquée.Il n´y a pas de place, au sens littéral du terme, pour la pensée autonome!
L´Algérie a été conçue telle une volière dans laquelle on nous enseigne doctement à nous les Aigles que nos ancêtres sont des rapaces.

Dans cette volière, des Aigles à qui on ne la raconte pas : conscients de l´histoire de leur espèce qui leur enseigne la vigueur et l´envergure de leurs ailes, ils les déploient et fracassent les barreaux de cette immense et immonde cage. Ensanglantées, y laissant des plumes, Ameziane en fut un, ils dessinent souriants le chemin irrésistible de la libération!

Malgré le meurtre de ton fils Ameziane, perpétré pour te briser les ailes, ton combat Ferhat, demeure cette maison, ce gîte toujours accueillant, chaleureux, débordant d´une généreuse poésie. Un gîte toujours fiable dans lequel se requinquent les guerriers éreintés sous les ailes desquelles grandissent les aiglons qui aiguisent leurs becs et leurs serres avec lesquelles ils arracheront la liberté du peuple Kabyle pour la renaissance de notre civilisation.

Ce que Ferhat m´enseigne à moi personnellement, c´est que faute d´atteindre nos buts à court terme, il faut en nourrir la vorace aspiration. Et la meilleure nourriture demeure l´Art. L´Art, c´est le génie humain par excellence. L´Art c´est la quintessence de la générosité et de la singularité. Sans générosité, toute entreprise humaine ne brassera que malheurs et laideurs.

Moussa Nait Amara
Témoignage concernant le regretté Ameziane Mehenni.
J’ai connu Ameziane en Avril 1993 pendant la semaine de la grève du cartable. Il était très impliqué dans cette opération en sa qualité du président de la CLA (Coordination des Lycees Amazighs).
En septembre 1994 lors du début de l’année du boycott scolaire, je l’ai bien côtoyé en compagnie d’un autre regretté notre ami commun Said El hadj Djillali.

Pour répondre aux mauvaises langues qui osent dire, sans scrupule, qu’il faisait ses études en France, je tiens a donner ce témoignage pour l’histoire; Ameziane était bel et bien en Kabylie lors de cette action et il était partie prenante dans sa gestion.
Reposes en paix camarade.

Katery Dihya Tamazight

Azul a gma
La première fois que j’ai entendu parler de toi c’était en 2013. J’ai pleurée toutes les larmes de mon corps en apprenant ta mort. Il ne fait aucun doute pour moi que la france s’est rendu coupable de ton assassinat par son silence et celui des médias. la france n’a pas estimé bon de créer un incident diplomatique avec l‘algérie en taisant et clôturant l’enquête qui visait à faire la lumière sur ton assassinat en 2004. La justesse de ton combat a fait peur au pouvoir assassin et ce pouvoir pensait qu’en te faisant disparaitre, ton père, notre Président Mass Ferhat Mehenni allait renoncer à son combat pour le peuple Kabyle ! Et bien non ! Jamais notre Président ne renoncera et jamais il ne renoncera pour que la lumière soit faite sur ton assassinat !

Sache que tu es toujours vivant dans nos coeurs Ameziane ! Je n’ai pas eu la chance de te connaitre et pourtant c’est comme si, je t’avais toujours connu ! Tu es ce grand frère qui me pousse toujours à aller de l’avant, à vivre le combat avec mon peuple Kabyle jusqu’à sa liberté définitive, jusqu’à Sa souveraineté recouvré !

Tu as écrit une page en or dans l’histoire de la Kabylie,et nous continuerons à écrire cette page ! Paix à ton âme a gma ! La victoire approche et tu es présent dans cette victoire !
Vive la Kabylie vive la Kabylie vive la Kabylie !

"NUL NE PEUT ARRETER UN PEUPLE SUR LE CHEMIN DE SON DESTIN" !

Hichem ABOUD
Ferhat, l’homme courage
En commémorant la douloureuse disparition d’Ameziane le fils de mon ami Ferhat, me revient à l’esprit une foule d’images de ce jeune étudiant de l’Institut des Etudes Politiques d’Alger des années 70. Une période où la contestation estudiantine était presque au point zéro et la revendication de l’identité amazighe était à peine audible. Rares étaient les voix qui s’élevaient pour crier haut et fort ce que des milliers et des milliers d’Algériens pensaient tout bas.

Certes, des sources d’inspiration existaient. Mouloud Maameri et Kateb Yacine étaient les plus illustres personnalités du monde de la culture qui nous ouvraient les yeux et éveillaient nos consciences. Mais, combien étions-nous à prendre notre courage à deux mains pour braver l’interdit et montrer la voie à suivre. Franchement et en toute sincérité, il faut reconnaître qu’à cette époque on ne se bousculait pas dans les obscures salles d’interrogatoires de la sécurité Militaire ou de la police. La première fois où on avait entendu parler de l’interpellation d’un étudiant dans sa chambre à la cité universitaire de Kouba, à 6 heures du matin, c’était, si ma mémoire est bonne, au début de l’année 1976.

Ce jour-là, on murmurait entre étudiants dans toutes les facs de l’université d’Alger que la SM avait arrêté Ferhat M’henni aux premières heures de la journée. Le ciel nous tombait sur la tête. C’est la première fois qu’une nouvelle pareille parvienne à nos oreilles. Ferhat M’henni tait déjà connu parmi les étudiants kabyles de l’université d’Alger. Comme je fréquentais ce milieu, je ne pouvais ne pas connaître celui qui s’avèrera quelques années plus tard l’une des figures de proue du combat démocratique en Algérie.

Je connaîtrai mieux encore Ferhat, à la sortie de son premier disque, à l’époque c’était un 45 tours, qui avait pour titre Aqcic d u3attar. La voix féminine qui avait enregistré secrètement avec lui cette belle chanson était une grande amie très proche de moi. Elle m’avait mis dans le secret en m’offrant ce disque que je brandissais comme un trophée à la cité universitaire de Revoil (Ruisseau). On se passait le disque de main en main pendant une semaine. J’avais une peur bleu de le perdre. J’étais obligé de faire la tournée des chambres de la cité pour veiller à ce que je ne perde pas la trace de mon trophée.

Au début des années 80, c’était au tour d’un nouvel album qui viendra écorcher les oreilles des dirigeants algériens. Un 33 tours avec la sublime chanson « Yahia berzidane ». Un album qui constituait un véritable défi à un pouvoir qui avait laissé tomber le masque dès avril 1980 pour révéler son véritable visage. Je ne connais pas beaucoup de gens qui ont osé ce qu’avait osé Ferhat en ces temps où il n’était pas aisé de respirer librement.

Malgré le succès remporté par ses albums, Ferhat Imazighen Imoula comme on l’appelait à l’université, est resté l’étudiant modeste qu’on croisait dans le bus universitaire ou au resto du COUS ou dans la rue. Une modestie qui constitue l’un de ses traits de caractères. J’ai eu à la vérifier des années plus tard en le rencontrant à Paris alors que l’homme a accumulé les succès artistiques et littéraire en plus de la gloire politique.

Cette modestie est le meilleur signe de solidité chez un homme. Elle est la preuve irréfragable qu’on est imperturbable quelle que soit la conjoncture et quel que soit l’évènement. Cette solidité, je l’ai remarquée à maintes reprises chez Ferhat. Même quand il m’a relaté les circonstances de l’assassinat de son fils Ameziane, je n’ai pas décelé un iota d’émotion chez lui quand bien même la douleur lui brûlait les entrailles. C’est ça ce qu’on appelle un ARGAZ au sens plein du terme. Et Ferhat en est un et demi comme on dit chez nous.

Ceux qui croyaient l’affaiblir en lui ravissant Ameziane se sont lourdement trompés. Ils connaissent mal l’enfant du majestueux Djurdjura. Lâches comme ils sont, ils n’ont jamais osé l’approcher pour le connaître et connaître ce qu’il dissimule comme force et courage. Deux ingrédients qui lui suffisent largement pour savoir accuser les coups durs et asséner à son tour des répliques faites de mots, de mélodie et surtout d’actions qui dérangent autant les faux amis que les ennemis. Des faux amis, Dieu seul sait combien Ferhat en a connus. Mais, quel que soit l’acharnement de ses adversaires il saura toujours triompher d’eux comme triomphent les causes justes en dépit de toutes les incertitudes et les vicissitudes de la vie.

Merci pour tout ce que tu nous a enseigné, Ferhat, comme courage, bravoure et loyauté. C’est le moins qu’on puisse te dire.

Boualem RABIA

Cher Améziane, cher élève.

Aujourd’hui encore, les mots me manqueront pour décrire mon affliction. La mienne, celle de tous ceux qui ont vécu la douleur dans leur chair, dans un pays où les justes tremblent et les trompeurs assassins de leur peuple espèrent toujours nous mettre définitivement à genoux.

Mais, Améziane, tes assassins, ceux de Mécili, de Matoub et de bien d’autres Hommes de valeurs ont beau espérer car il est inconcevable de disputer le ciel aux oiseaux, car il est une engeance d’Hommes à qui l’ont ne fait point oublier leur combat en inhibant leur idéal par l’or et les privilèges, car il est des Hommes qui, dans la tourmente et l’insécurité, ne peuvent forfaire à l’honneur d’être un Homme-Libre. Ainsi restent-ils debout et justes en dépit de toutes les démesures.

Vois-tu, Améziane, je ne t’apprends rien de ce dont tu es mort prématurément, toi comme tous ceux qui ont refusé que le silence soit l’ultime refuge d’un combat! Mais ces Hommes-là, même partis, de leur lumière et de leur hymne à la liberté d’être et de dire, de cette ardeur héritée à l’école kabyle de la vaillance…ces Hommes-là éclairent encore et toujours notre univers entier.

Vois-tu, Améziane, mon cher élève (plus tard mon ami aussi)je ne t’apprends rien, à toi, l’énième victime d’un sérail inique qui ne ménage que ses papelards et sbires, ceux qui arrangent ses minables arrangements :les Hommes comme toi(ou comme ton père qu’il a voulu neutraliser par ton assassinat)ce sérail d’un autre âge les assassine!

Vois-tu, cher Améziane, ici, les mots me sont amers et me semblent vains. Mais ne faut-il pas crier haut et fort que ce qui inquiète un certain sérail et toute une infâme valetaille à sa solde, tous perfides et habiles au maquillage de leurs crimes odieux, c’est notre conviction profonde de les combattre même au péril de notre vie, c’est notre refus de renier nos valeurs ancestrales aussi inébranlables que nos montagnes de notre auguste Kabylie.

Améziane, tu es parti à la fleur de l’âge, nous partirons tous;mais de la façon dont tu es parti, Kateb Yacine a dit" Mourir ainsi, c’est vivre! "Honneur qui ne sera point accordé aux commanditaires de ton assassinat et de bien d’autres: déjà depuis Abane…

Enfin, jeune homme de mes montagnes kabyles(ne suis-je pas né à Tabouda? Enfin, éphèbe féru de culture et de courage, ce qui inquiète cette gent inique qui, depuis la guerre d’Algérie( où ton aïeul et tant d’hommes de ta famille sont tombés au champ d’honneur)ne cesse de nous envoyer au charbon ou au cimetière pour qu’elle elle puisse aller sans ambages aux fraises, ce qui l’inquiète donc, c’est que des Hommes comme toi, jeunes et cultivés, sincères et convaincus, qui ont grandi avec le soleil et la neige de la Kabylie où a toujours battu le cœur de l’Algérie, ne se prosternent jamais, ne se soumettent jamais.

Oui, Améziane, cela tu le sais aussi: les Hommes de nos montagnes ne rejoindront jamais les sangliers qui roulent dans leur fameuse bauge!

Vois-tu, cher Améziane, cher élève, exemplaire à tout point de vue, je ne t’apprends rien: eux et nous sommes immiscibles comme le goudron et l’eau! Mais hélas! Mille fois hélas! Hélas! pour un pays qui rejette ses propres fleurs et tire sur les oiseaux, parce qu’ils osent chanter le soleil et le printemps!

Dors serein, cher élève et ami, ta mort n’a pas été vaine, absurde, oui! Absurde aussi une certaine presse qui a essayé de faire clabauder la niaiserie d’une certaine "famille révolutionnaire"…là aussi, la méthode est connue.

Enfin, avant de te dire: A bientôt, Améziane! Salue Mécili, Matoub et tous les autres. Rappelle-leur deux de mes vers: Nous n’enterrons pas nos Hommes. Nous plantons des Oliviers.

Djaffar Benmesbah

Fils de martyr, il devient père de martyr.
Le sacrifice est complet. Meziane son fils, parti très tôt siéger au conseil des martyrs, apparaît avec une quiétude d’enfant en couverture du dernier album du père à qui il emprunte la voix, A yemma A-kem djegh semble-t-il chanter avec une main saluant ses proches, ses amis et aussi les montagnes qui l’on vu naître. La distinction de responsabilités est faite, avant de faire le procès de l’arme et du nervi zélé qui l’a mise en mouvement, il faudrait faire celui du commanditaire » Ecrivait Djaffar Benmesbah dans un article paru en juin 2008 dans un article –plus que jamais d’actualité- que voici.

FERHAT, LES BRUTES ET LES TRUANDS

Chaque jour que Dieu fait, un algérien se jette à la mer dans une embarcation de fortune, quelques euros, quelques cigarettes, un peu d’eau et quelques espoirs dans le bissac, décidé à ramer pour gagner l’Europe à la manière d’une ilote sous les spartiates au risque qu’on le retrouve matin, cadavre froid d’où s’exhalerait ses petits rêves et sa sueur mêlée aux larmes de sa mère.

Voilà le résultat de la politique des articles aigrefins au pouvoir dont le seul souci est de rester à des avant-postes en incarnant l’arrière-garde. Une image parmi d’autres que Ferhat a toujours criées pour secouer leur dédain. Ils sont encore présents avec en réserve des bombes lacrymogènes tantôt en plastique et… Ferhat aussi, toujours aussi « peuple », à la manière d’un média libre, avec la même voix à la fois suave et ferme. Le gens du pouvoir et Ferhat, un duel à la mort, par attachement des contrées numides. Deux camps contradictoires comme par l’évidence d’une loi physique, l’un fanatique de sa propre bêtise l’autre engagé par passion de la liberté. L’un crache sur la Kabylie des geysers en matières sales, l’autre de Kabylie, forge toujours ses pilums dans la grande enclume des ancêtres.

Les gens du pouvoir se griment des codes de la loi « légitime » et usent de rapines et corruptions pour se maintenir au pouvoir, l’inspiration de Ferhat est une industrie qui aide les Kabyles à prendre le pouvoir sur leur propre vie. Les gens du pouvoir fabriquent le deuil dans les poitrines des mères, Ferhat « transforme le deuil qui l’affecte en un gigantesque chantier de l’espoir, renouvelant magie et poésie pour la Kabylie ». Son parcours artistique évalue très précisément, avec une implacable objectivité, à la fois son engagement et les bouleversements qui se sont déroulés en Algérie de façon générale et en Kabylie en particulier. Son répertoire est un inépuisable réservoir de revendications, de slogans, de révoltes, d’utopies et d’espoirs. De résistance aussi. Mais être admis maquisard en chef n’est pas sans risques.

Après la prison, les anathèmes et les ostracismes, Meziane son fils, Meziane son ami, Meziane son compagnon, sera tué à Paris. Il a tant craint la perte d’un compagnon, il l’avait chanté 30 ans plutôt. Amedakul, ce compagnon qui en pleine avancée patriotique reçoit une balle en pleine poitrine. Tel Boris Vian, Kateb Yacine, Darwich, Nazim Hikmet, Desnos, Ferhat accomplit sa propre prophétie. Il ne se demande plus pour lequel d’entre les deux la balle était destinée. Il sait qu’on peut tuer par ricochet. Ou alors, tuer l’un et laisser à la douleur le soin de consumer lentement l’âme de l’autre.

Fils de martyr, il devient père de martyr. Le sacrifice est complet. Meziane son fils, parti très tôt siéger au conseil des martyrs, apparait avec une quiétude d’enfant en couverture du dernier album du père à qui il emprunte la voix, A yemma A-kem djegh semble-t-il chanter avec une main saluant ses proches, ses amis et aussi les montagnes qui l’on vu naitre. La distinction de responsabilités est faite, avant de faire le procès de l’arme et du nervi zélé qui l’a mise en mouvement, il faudrait faire celui du commanditaire. Entre temps, l’anathème et les menaces poursuivent toujours Ferhat.

Des « politiques » et « journalistes » sans aucun talent si ce n’est celui de fomenter la haine, avec une reproduction ludique de l’analyse politique qui crachote de la toxine sur l’humanité, l’accusent de sécessionnisme. Dur pour celui qui a prit au sérieux la mort de Che Guevara. Dur pour celui qui a rendu hommage à Boukhabza, à Senhadri, à Cheikh El Imam, au peuple libyen, aux Iles Canaries. Très dur pour le premier algérien qui avait plaidé ouvertement le retour de Boudiaf, un nom que le pouvoir, à l’époque, tentait d’effacer du souvenir. La tectrice de leur plume découvre l’étroitesse de leur esprit. Rien n’arrête le nihilisme des esprits crasseux qui nourrissent, justifient et achèvent les actes criminels des islamistes barbares et de la gendarmerie…également barbare. Ils sont les béquilles qui maintiennent debout le fossile Bouteflika. La violence des islamistes, celle des gens du pouvoir algérien pareille, a pour cible et enjeu la population civile. Leur objectif commun : infirmer de manière tendancieuse et avec une passion déréglée la Kabylie. Les uns sont capables de se montrer plus violents que la brutalité des autres et ensembles, ils décident de l’escalade de la violence.

A chaque fois, Ferhat revient pour ne pas laisser le dernier mot aux barbares des deux côtés. Ses chansons stimulent, embellissent et renforcent le combat. Qui n’entend pas, en écoutant chanter Ferhat, le roulement du tambour plaidant le recrutement de militants intraitables ? Qui ne voit pas un vent de fronde brocarder les tréteaux ennemis ? Qui ne le perçoit pas comme l’éminente sonorité des causes justes ? Il a chanté tamazight, le travail, le statut de la femme, les droits de l’homme, démocratie ou révolution. C’est ainsi que l’image d’avril 80 lui colle à la peau. Il a pleinement collaboré à ce que l’expression politique en Kabylie, Alger inclus, soit devenue aussi courante.

Avril 1980, une parabole pour le kabyle qui, sans Ferhat et ses amis de l’époque, ne saurait trop quoi en faire aujourd’hui. Que serait avril 80 sans la chanson conçue en hymne : Tizi bwassa ? Dans le sens d’une révolution des consciences politiques et d’un questionnement existentiel Ferhat a été le premier chanteur à briser l’emballage que fait peser la bien-pensance sur la langue arabe et la religion. Ferhat Mehenni est un libre-penseur rationaliste, dans son œuvre, on trouve le travail qui consiste à réveiller l’esprit critique des croyants crédules malmenés des siècles durant par la propagande et l’endoctrinement accomplis par des féaux zélés sinon crédules eux aussi.

Comme ses semblables, les poètes Léo Férré, Jean Ferrat, Adem Fethi, Adonis ou Victor Jara, il reconnait et respecte le droit de chacun de croire au Dieu d’Abraham, en Ilou, en Cheikh Mohand, en Sidi Abderrahmane, en Sidi Houari, aux esprits des ancêtres, au génie d’Aladin, à n’importe quel farfadet si cela peut l’aider à mieux vivre son existence. Ses prolepses objectent l’irrationnel et critiquent tout précepte qui limite les libertés et les droits humains. Ses certitudes, seing de ses convictions, s’adressent à l’idée de la croyance sans vexer le croyant en tant qu’individu. Défenseur parmi ses pareils de la liberté d’expression au plus fort des déroutes quand nombre de ses enclins venus dramatiquement s’agripper à son sein – rapaces, aventuriers, mercantiles, mercenaires et flibustiers – la défigurent par leur sensibilité à l’idée de l’existence d’un Bouteflika puissant, par leur perméabilité à une religion, par des courbettes le cul aux vents et des révérences écœurantes devant les dieux nouveaux en uniformes.

Le principe de la liberté d’expression subit une contrefaçon dans laquelle viennent se morfondre des « croasseurs » haineux et vipérins lancés contre tout ce qui réfléchit Kabyle. Les braises racistes que l’on disait éteintes rougeoient dans leur lexique, des inciviques qui n’ont aucune peine à trouver des alibis à leur passion des excès morbides. Dans une Kabylie meurtrie, ils trouvent matière à vivre leurs fantasmes. Tout comme Néron qui voyait Rome belle et splendide sous l’éclat de ses feux. Parmi eux, un journaliste réclame l’arrestation de Ferhat Mehenni. Voilà l’emprunte d’une grave dégradation de l’esprit public qui vexe, qui insulte, qui injure impunément.

Quand un journal se charge d’un quotient de provocation et de subversion envers un opposant, se faisant loque des sursauts complexes du pouvoir on s’autorise les interrogations angoissantes. Le pouvoir se prépare-t-il à arrêter Ferhat Mehenni. Le pouvoir a pour habitude de préparer l’opinion. Envers les kabyles, on entretient toujours des insanités en guise de géraniums, et pauvre de nous qui les arrosons de patience ! L’autonomie des régions est une exigence si l’on veut que l’Amazigh retrouve sa place parmi les nations.

Dans cette optique, l’idée de l’autonomie de la Kabylie ne doit pas choquer, elle doit être appuyée. Tout le Moyen-Orient est contre nous, croire qu’avec le même système, supplée d’un appareil comme le RND, Tamazight et la laïcité verront leur prolongement dans la constitution et la Kabylie allégée du poids étouffant de l’arabo-islamisme équivaut pour le scientifique à penser qu’une greffe de la tête est possible. N’en déplaise aux avoués d’Ouyahia, ces kabyles qui traînaillent leurs silhouettes, chargées de faux et d’impostures, dans des associations et journaux interlopes faisant les zouaves et quémandant la reconnaissance.

Prompts à tirer la couverture à eux, histoire de bien-être matériel, ils évoluent dans un monde extracorporel. Ils font de l’antichambre chez les Marius contemporains à se refaire volontiers Bocchus. Des laquais confinés dans le rôle d’idiots utiles qu’ils se sont eux-mêmes attribués. Selon les conjonctures, ils applaudissent Ferhat et fument du thé fait du thym sauvage ramassé dans les jardins d’El Mouradia. L’outrecuidance inspire en eux l’orgueilleuse mise au point-mort de l’humilité. Dans tous les combats, il faut se fixer un devoir d’opiniâtreté et surtout de prudence. Il n’y a pas de laïcité à l’arraché, pas de combat identitaire à la criée ni de droits négociés ; les aarouchs ne l’ont pas compris, c’est pour cela d’ailleurs qu’ils se sont fait unité de bruit médiatique, un moment.

Le combat en politique est insipide quand il passe au rang des activités de loisir, aussi, il perd sa noblesse dès qu’il devient un métier qui à force de le monnayer se bâtardise dans des aphorismes déshumanisants de l’oligarchie politico-financière qui excitent des gueux. Il faut se battre, sans que cela ne soit un contrecoup d’urgence. L’intelligence dans le combat qui est le nôtre n’a pas droit au repos.

L’exemple vient de Ferhat qui au fond de sa douleur ne cède pas d’espace au dégoût et à la haine. Encore avec l’appétit de produire, il se bat à grands renforts de la musique et de la poésie. « Souhaitons que le combat réel / de notre lutte éternelle / Donne naissance à la paix / Une paix profonde et vénérée / Plus profonde que l’immensité / De l’océan et de l’éternité » Qu’il chantait, il y a trente ans. C’est dire qu’être ou ne pas être : là n’est plus la question.

SIWEL 221835 JUIN 14

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