RIFLAND (SIWEL) — De l’autocritique ça fait du bien, il en faut pour pouvoir dépasser les difficultés et se construire. Toute société se doit de faire ce travail à contre-coeur, et cela ne peut être que dans son intérêt L’opportunité de ce propos est les déclarations jugées blessantes, blasphématoires et mêmes racistes émises par le bourgmestre / maire de la ville d’Anvers en Flandre en Belgique.

Bart De Wever, leader du parti nationaliste flamand N-VA a cité nommément la communauté amazighe, majoritaire dans cette ville. Le bourgmestre qui a remis en cause la politique d’intégration belge, voulait dire, en substance, que cette communauté est la seule à s’enfermer dans une attitude victimaire, contrairement à d’autres communautés dans la ville, « méfiante envers l’autorité », en son sein il n’y a « pas de mobilité sociale », et enfin qu’elle est « sensible au salafisme ».

 

Sur la forme, que Bart De Wever s’exprime ainsi, il est pleinement dans son rôle d’un nationaliste à la tête d’un parti portant les revendications du nationalisme flamand, et c’est de bonne guerre, ce qu’il a dit ce n’est ni plus ni moins un aspect de son travail qu’il accomplit quotidiennement pour assurer un poids à son parti et pour plus de visibilité sur l’échiquier politique. Sa position fut critique et a blessé certes l’amour-propre de la communauté amazighe qui s’est sentie sincèrement stigmatisée.

J’aurais voulu que cette dernière dépassionne sa réaction, l’évacue de tout émotionnalisme, la rationalise un tant soit peu, et la positive dans le but d’avancer dans ce débat de société, malheureusement ce n’est pas cela qui a été fait, tout à l’opposée, la communauté amazighe est montée sur ses chevaux pour dénoncer ces propos, le maire a été désigné à la vindicte populaire, taxé d’être raciste et accusé d’être hostile à la communauté berbère.

La responsabilité a été ainsi évacuée et jetée sur le bourgmestre en qui elle trouve un parfait bouc-émissaire. Il est à signaler qu’une plainte fut introduite par un mouvement dominé par la tendance religieuse forte et panarabiste et qui surfe régulièrement sur les tensions sociales. Une association amazighe et une autre marocaine ont signé cette plainte aussi. A la fin on se retrouve sans débat, face à deux acteurs qui se rejettent la responsabilité de leurs propres échecs : d’un côté une frange active de la communauté amazighe et de l’autre le politique De Wever.

Victimaires, nous les amazighs, nous le sommes, nous avons du mal à dépasser ce stade et avoir une position proactive. Nous pensons que nous sommes la victime perpétuelle du monde qui nous entoure et que ce sont les autres qui détiennent le monopole de la culpabilité, ce qui est bien évidemment faux.

Sur le fond de ses propos, que le maire dise que la communauté amazighe d’Anvers est « sensible au salafisme » ce n’est en rien un blasphème c’est une réalité qu’il faut accepter et assumer. Avant que le maire ne le dise, les statistiques le prouvent et la réalité aussi, le salafisme ronge la communauté de l’intérieur, et nous ne devons pas nous offusquer de cela, Les réactions épidermiques démontrent qu’il y a une crise culturelle, une pathologie, un manque de courage, de responsabilité certains de la part des amazighs dans leur inscription et leur organisation interne dans l’espace social local.

Qui peut nier le procès de 46 membres du groupe salafiste Sharia4Belgium pour appartenance à une organisation "terroriste" et pour avoir encouragé de jeunes Belges à partir faire la guerre dite « sainte » en Syrie ? Qui peut nier parmi ces 300 belges engagés dans la lutte en Syrie aucun n’est amazigh ?

On ne saurait réduire toutes les difficultés sociales au seul fait du racisme. Plutôt que d’être dans une logique d’accusation il est plus judicieux d’ouvrir un débat de fond et se demander ce qu’on peut faire pour sortir de cette impasse.

Le manque de mobilisation des amazighs contre ces propos déteints par certains comme étant racistes, démontrent certainement que Bart De Wever dit vrai.

Le mouvement associatif amazigh en Belgique

Mon article se propose d’interroger cette réaction, les modes d’action militante amazighe et l’engagement associatif des amazighs en Belgique. Je ne prétend pas connaître parfaitement le tissu associatif amazighe Belge, mais en me basant sur ma petite connaissance sociologique je me permets de dégager, à l’ombre de ce «mini tsunami » qui a ébranlé à tort récemment la communauté amazighe en Belgique, quelques grandes lignes de l’offre associative.

Les propos de De Wever ont déchainé les passions certes mais ils ont démontré une autre réalité : la réaction mesquine des organisations amazighes majoritaires dans la ville. On s’attendait à plus de mobilisation, et à la fin on se retrouve face une organisations nationaliste arabe électoraliste et populiste qui prend les devants de la défense des Amazighs, ce qui est pathétique pour moi. Les amazighs ne cessent de ce fait d’être des objets des actions associatives et politiciennes mises en œuvre en leur faveur et cantonnés de fait au rôle de bénéficiaires.

Je place ma lecture dans une perspective critique, sans apriori, sans compromis et pas du tout paternaliste, et elle n ‘a certainement pas pour but de déclencher une polémique mais tout au contraire, mon intention est de pousser à la réflexion et ouvrir un débat sans concession sur l’état d’organisation du fait amazigh dans ce pays, les faiblesses de cette dernière, comment aller de l’avant, comment visibiliser au mieux nos luttes et notre combat revendicatif ? Comment encourager l’esprit collectif et unitaire et former un front commun face à des défis comme cela ? C’est CAPITAL. Des gesticulations et des paroles en l’air, ce n’est pas de l’organisation mais bien de la surenchère creuse et de bas de gamme qui va droit dans le mur et n’aboutit à rien.

Cette démission a laissé libre cours aux politiciens « véreux » et prédateurs qui ne ratent pas une occasion pour se faire voir, booster leurs populismes et manipuler à leurs profits les tensions sociales.

J‘ai la conviction que tout militant ou cadre militant qui se refuse à la critique démontre sa volonté de se murer dans l’archaïsme et la stagnation.

NON ce n’est pas Bart De Wever qui est la cause de notre malheur, mais bien nous-mêmes, par conséquent la réponse est à chercher en NOUS. Rationalisons notre combat, nos pensées, nos méthodes, voyant en priorité l’intérêt collectif d’abord et avant tout. On se doit de lutter contre nous-mêmes et le monstre qui est en nous avant de taxer Bart De Wever de raciste. Aujourd’hui ce qualificatif est vidé de son sens, utilisé à tort et à travers, et constitue l’argument par excellence sur lequel on se rabat quand on n’en a pas. Ce monstre porte des noms multiples que tout militant de bonne foi, connaisseur de l’espace associatif amazigh, concevrait très facilement. Nous nous devons de nous demander quel travail avons nous fait au sein de la collectivité afin d’éviter ce genre de situation.

Avons-nous pensé à renforcer d’abord nos mécanismes de défense, clarifier nos revendications ? Ces conditions sont -sine qua non- pour imposer le respect, renverser le rapport de force en notre faveur et avoir un impact certain, afin de faire connaître et reconnaître nos propres revendications et participer efficacement à la marche collective de la société. C‘est la seule voie pour rentrer dans l’Histoire. Nous avons une responsabilité, nous ne devons pas l’évacuer.

Je pense intimement que ce travail est de longue haleine, qui exige beaucoup de sacrifices, mais à la fin c’est le résultat qui compte.

Je suis sûr qu’il y a des militants qui font de leur mieux et se battent au quotidien pour faire avancer le combat sans arrière-pensée électoraliste ni populiste ni autre chose, cependant cela reste des logiques purement individuelles, individualistes et limitées qui ne pèsent pas grand-chose face une majorité démissionnaire et face à une frange militante intéressée dans ses démarches qualifiées de déférentes et d’altruistes.

La logique clanique est aussi une autre réalité de cette galaxie militante : une concurrence accrue afin d’occuper une position de monopole, de représenter exclusivement la communauté amazighe, et de s’instituer comme l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics en tant que porte-parole des amazighs. D’autre part, Il y a le manque d’indépendance et le caractère de ces associations qui sont très généralistes et beaucoup nuancées, de même, le maillage associatif est moins dense par rapport à l’ensemble de la population amazighe, enfin, le manque de sens de compromis, d’initiative d’action de mobilisation unitaire sous une bannière commune, à des moments charniers.

Le mouvement amazigh, je t’aime moi non plus

Cet état des lieux est à globaliser sur la situation partout en Europe, le schémas est le même partout, le « mouvement amazigh » est une fantasmagorie qui n’existe que dans les textes et les discours militants et souvent pris comme un faire-valoir, il demeure sans consistance, tout au moins il est dilué, et relève d’un univers militant très segmentaire et faiblement centralisé. Chaque cadre associatif tire ses propres ancrages de son segment d’appartenance.

Chaque composante de la « communauté amazighe » au travers de ses associations représentatives consécutives, rifains, kabyles, chleuhs etc… entretient ses références identitaires et veille à sa propre sécurité, développe sa capacité à « se défendre » et à « attaquer » dans un jeu de forces qu’aucune entité transcendante ne régule. Il s’en suit un corrélat sur le terrain, autrement dit l’outrage d’une composante amazighe ne suscite pas automatiquement le même élan de mobilisation solidaire lorsqu’elle touche une autre composante. L’indignation, d’une partie de la « communauté » dite « amazighe », n’a pour écho que le silence, ou la quasi absence de sursaut de solidarité du reste des amazighs.

Pour l’anecdote, j’ai le souvenir d’une discussion passionnée avec une militante autour l’immobilisme des amazighes constaté pour la « cause » dite amazighe, sur un ton de plaisanterie, elle m’a livré innocemment un diagnostic très simple mais il s’est avéré tellement vrai que j’en ai ri pendant un moment, « Comment est-ce possible que je vienne à une action militante organisée par un militant du même niveau que moi, ça serait de lui faire de la pub, de lui reconnaître de facto, une légitimité dont je ne voudrais pas qu’elle en a une, lui donner de l’importance et me faire chapeauté ou commandé par lui ». Un témoignage très éclairant, chaque communauté se bat pour devenir la norme et se présente comme étant le siège, la conscience même de l’amazighité, ces associations discrètement opposées les unes aux autres se disputent le terrain et chacune nage dans un système de pensée totalisant, égocentrique et où l’on reste sur son quant-à-soi par rapports aux préoccupations des autres composantes amazighes, les regardant avec dédain.

Cet état d’esprit ethnique domine largement et avec acuité la « communauté » où existe un multi-nationalisme et où chaque composante tient à affirmer sa propre spécificité et rejette de facto les conditions de réalisation d’une telle « communauté » dont elle se revendique tout en continuant à le clamer en toute occasion dans une logique totalement absurde. Majoritairement chaque composante amazigh a pour référence dominante son appartenance étatique que de l’appartenance à Tamazgha, cet espace, royaume idéal, cité des amazighs comme c’est décrit dans la littérature militante.

Je dirai même, dans une certaine limite, que l’antagonisme légendaire entretenue par le nationalisme absurde algérien et marocain est reproduit à l’identique consciemment ou inconsciemment au niveau du dit « mouvement amazigh » Sans parler de la gouvernance associative la caractérisant, monarchiste, absolue et héréditaire parfois, et où l’on ne connaît pas l’alternance.

Pour conclure sur un ton optimiste, je dirai qu’on doit faire un examen approfondi de nos propres démarches, arrêtons de refuser de prendre en compte la réalité, on se doit de questionner et déconstruire les formes et les logiques actuelles qui sous-tendent nos engagements associatifs et la mobilisation collective et militante afin de ressortir nos faiblesses et identifier les démarches que nous nous devons de mettre en place pour renforcer nos combats.

Rachid OUFKIR

SIWEL 071103 AVR 15

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