TAFILALT (SIWEL) — Dans le cadre des préparatifs à la participation de l’ Association des populations des montagnes du monde (APMM) à la COP22 de Marakech, le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) a chargé sa Secrétaire nationale aux Relations avec les peuples amazighs, Mme Nadia At Uεisa d’y représenter le Mouvement souverainiste kabyle.

Mme At Uεisa s’y est rendue sur la double invitation du président de l’APMM, M. Mimouni Mhand et de la présidente du CMA (congrès mondiale amazigh), Mme Kamira Nait Sid qui est également vice-présidente de l’APMM.

Siwel publie ci-après le Compte-rendu de cette visite.

 

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Chronique d’une visite au Sud-Est Marocain

Répondant à la double invitation du président de l’APMM, Mas Mimouni Mhand et de la présidente du CMA, Massa Kamira Nait sid, qui est également vice-présidente de l’APMM, je me suis rendue au Sud Est du Maroc au titre de Secrétaire nationale aux relations avec les peuples amazigh au sein du MAK afin de rencontrer les Amazighs du Sud-Est et de transmettre le message de fraternité et de solidarité de la part de notre Mouvement et de son président Mas Bouaziz Ait Chebib.

Attendue pour le 3 août, j’ai été chaleureusement accueillie par notre ami Mas Khodir Sekkouti, porte-parole du Mouvement pour l’autonomie du M’zab (MAM) qui se trouve au Maroc en tant que réfugié politique après la succession des tragédies qui ont frappé le M’zab et surtout l’arrestation de la quasi-totalité de la direction du Mouvement Mozabite. Connaissant les lieux et les usages, Mas Khodir Sekkouti m’a fourni une aide et une assistance précieuse.

Nous avons ensuite pris la route vers la petite ville d’Alnif se trouvant à 450 Km de Marakech qui dépend de la province de Tinghir, dans la célèbre région de Tafilalet. Traversant des massifs et des paysages divers, tantôt désertiques, tantôt boisés, on est de suite éblouis par la beauté majestueuse de ces territoires amazighs où certains paysages, notamment les plus boisés rappellent un peu la Kabylie. Les routes sont sinueuses, elles serpentent les collines au-dessus des ravins et des rivières asséchées, traversant les Ighermanes (villages) aux couleurs d’argile, parfois ocres parfois gris, exposant aux yeux des visiteurs l’âpre réalité de la dureté de la vie de leurs habitants et surtout leur désespérant isolement, pénalisant ainsi lourdement la population amazighe, ces derniers étant tenus à l’écart de toute infrastructure scolaire ou sanitaire depuis bien trop longtemps.

Nous avons passé la journée entière sur la route et sommes arrivés à destination dans la nuit après avoir traversés Ouarzazate, Tighremt N Imgun (arabisée en « Kalaat M’guna »), Imider , Tinghir pour ne citer que ceux-là. Nos amis militants m’avaient réservé une chambre à l’Hôtel Le Météorite, sans jeux de mots, cet hôtel porte bien le nom du site, un paysage lunaire et très riche en fossiles racontant les vestiges d’un temps très lointain.

Tout au long du trajet, j’ai été très touchée par les propos de Khodir Sekkouti, un patriote exemplaire douloureusement marqué par l’exil. L’inquiétude marque son visage. Loin du Mzab, son cœur ne battait que pour son peuple opprimé, réprimé, massacré par l’Etat algérien au nom d’une unité arabo-islamique basée sur la nécessaire extermination des amazighs du Mzab. Khodir Sekkouti me confie son inquiétude et celle de Salah Abbouna, également exilé au Maroc, quant à la situation alarmante du Dr Kameleddine Fekhar et de ses codétenus. Une inquiétude malheureusement fondée confirmée quelques temps plus tard par le décès d’un mozabite octogénaire de 80 ans dans les geôles algériennes.

Des militants des Ait-Atta, des At Yaf -Lman et bien d’autres confédérations de tribus ont vite cherché à se rapprocher de la responsable politique du MAK que j’étais et qui était venue leur rendre visite au titre de la solidarité et de la fraternité entre les peuples amazighs. Je citerai en exemple Mas Zanafi Omar, Mas Hamza Ait Ichou, Mas Youcef Tabramet, des militants qui luttent dans le sud-est marocain avec courage et détermination pour l’identité et la culture amazighe, la préservation des traditions ancestrales de leur peuple mais aussi son nécessaire accès à la modernité et aux infrastructures de bases pour garantir sa survie et sa pérennité.

Mes frères militants, dont Omar Zanifi m’ont fait découvrir la beauté majestueuse des paysages du Sud-Est marocain tout en me racontant l’histoire millénaire des formidables sites de leurs contrées : La Vallée de Daddes et ses gorges, les cités et Ighermans, les rivières, les falaises (les pattes de singes et autres), la vallée des roses et bien d’autres merveilles dans lesquelles j’ai puisé des souvenirs inoubliable qui me marqueront à jamais. Il y a tant de choses que nous ignorons de nous-même. Nos merveilles nous sont cachées et notre histoire est falsifiée. Les peuples amazighs ignorent beaucoup trop de choses de leur fabuleuse histoire. Et c’est ainsi que je découvre l’histoire de cette région fière et rebelle, ainsi que les événements tragiques qu’elle a connus.

L’une des premières révoltes qu’a connue la région après l’indépendance contre le pouvoir royaliste arabo-islamiste marocain « 1957/1958 » à TAFILALT , dont le chef Amazigh était Aaddi Oubihi , l’ex gouverneur de la région de Tafilalt. On peut entre-autre, relever les évènements suivants :

– 1933 : résistances militaires contre l’armé français à Badou

-1934 : la bataille de SAGHRO à BOUGAFER

-1973, événement à Tinghirt, tentative de coup d’État

-1991 : Création du MCA (Mouvement culturel amazigh) dont la majorité des militants sont du Sud-Est.

-2005 : Création de mouvement revendicatif : Ait Ghighuch qui a occupée tout le territoire de sud est

-2007 : l’université d’Agadir, Erachidia, Meknas, ont connus une grand répression et plusieurs arrestations dont deux condamnés à 20 ans de prison

-2008 : Soulèvement populaire de Boumaln (une quarantaine d’arrestation)

– 2011 : Naissance du mouvement sur la voie 96 à Imider, un mouvement protestataire dénonçant les politiques de spolation des territoires, de marginalisation, de destruction de l’environnement, de discriminations entreprises par la Société Métallurgique d’ Imider (SMI).

Ces mouvements et événements ont engendré plusieurs détenus, arrestations et morts et la dernière en date est celle du Omar Khalek dit IZEM assassiné le 27 janvier à Marrakech.

Au quatrième jour de ma visite, lors de la conférence de l’APMM j’ai rencontré l’ex détenus Mustapha Aoussar à qui j’ai transmis le message de soutien de solidarité du MAK et du peuple Kabyle et à qui j’ai exprimé notre soulagement et notre joie suite à sa libération. J’ai pu aussi rencontrer le représentant du mouvement « Sur La Voie 96 » Moha Tawja, et discuté de leur lutte et du sit-in héroïque de la population d’Imider qui dure depuis pas moins de 5 ans, une population qui essaye de résister face à l’entreprise minière royale qui non seulement spolie leur richesse mais pollue aussi gravement leur environnement.

S’en est suivie d’autre rencontres avec d’autres militants. Nous avons échangé nos expériences, parlé de nos luttes respectives, de projets d’avenir et de nos situations, certaines étant communes, d’autres similaire et d’autres encore totalement différentes. Et ce qui m’a agréablement surpris chez ces militants, c’est que certains m’ont raconté l’histoire de la Kabylie, de ses hommes, de ses femmes, de nos résistants et de nos artistes. Certains connaissaient même Muhya (Muhya) tandis que d’autres me citaient des passages entiers des discours de notre Président Ferhat commentant diverses actions du MAK et du GPK qu’ils connaissaient sur les bout des doigts.

La plupart des militants amazighs de la région ont tenu à ce que je transmette au MAK au GPK et au peuple kabyle tout entier leur total soutien au projet de notre Mouvement. Nos frères et amis amazighs ont néanmoins, et à juste titre, émis le regret de notre méconnaissance de l’histoire de leur peuple, de ses luttes, de ses souffrances et de ses espoirs. Je découvre des militants sincères, dignes, déterminés et généreux, des authentiques Amazighs descendants en droite ligne de rebelles amazighs que l’on qualifiait de Bilad Essiba par opposition aux soumis de Bilad El Makhzen.

Cependant, il est à noter le regrettable effacement des femmes dans ce processus d’émancipation et de réappropriation identitaire, car je reste convaincue que sans l’implication des femmes, les peuples amazighs ne pourront jamais se libérer des idéologies rétrogrades et usurpatrices qui sont en train d’asservir les peuples Amazighs, voire même de les faire disparaître. Je leur ai exprimé mon inquiétude à ce sujet avec beaucoup d’humilité car je considère que même si notre combat doit servir comme machine tractrice de la lutte des autres peuples amazighs, nous devons le faire avec beaucoup d’humilité et de modestie, car si notre Mouvement est effectivement à la pointe d’une certaine parité hommes/femmes en Afrique du Nord, nous sommes encore très loin de l’extraordinaire exemple du peuple kurde qui a bien compris que la clé de sa libération passe d’abord et avant tout par celle des femmes kurdes, tant et si bien que ce sont elles qui aujourd’hui font reculer les hordes barbares du fameux Etat islamique qui lui aussi a bien compris que pour asservir un peuple, il faut d’abord commencer par asservir ses femmes.

Enfin, je quitte le Sud Est, les enfants du Tafilalt, At Atta, Ait Yaf-Laman, Ait Daddes, At Imgun et bien d’autres, avec un grand sentiment d’inachevé mais aussi avec la promesse d’y retourner car nous avons tous le tort de ne pas assez nous connaitre. De cette contrée Amazighe, je reviens surtout avec un immense message d’amour, de fraternité et de soutien pour le peuple Kabyle. Comme disait notre camarade Hamza Ait Ichou : «même si chacun de nous, en parlant des peuples amazighs, doit luter pour sa propre survie et libération, nous nous devons de rester solidaires et unis».

Je tiens à remercier tous ces militants, ces frères, ces amis aussi bien pour leur accueil digne de la grandeur des Amazighs que pour les débats fructueux qui ont mis en avant la fraternité et la solidarité qui doivent marquer les relations entre nos peuples dans leurs quêtes respectives de liberté et de dignité.

Nadia At Uεisa,
SN aux Relations avec les peuples amazighs
Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK)

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SIWEL 250004 AOU 16

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