MA VISION DU HIRAK

PARIS (Siwel) — On ne cesse pas de lire et d’entendre dans les médias lourds des deux rives de la Méditerranée des hommages en l’honneur du hirak né il y a trois années, loué comme un mouvement révolutionnaire, pacifique. Tout se passe comme si l’on cherchait à le faire revivre après avoir déclaré son décès. Toute autre action politique, toute autre opinion est passée volontairement sous silence. Une ignominie qui s’étend jusqu’aux détenus d’opinion qui seraient des hirakistes alors que la majorité écrasante d’entre eux, et ce n’est pas quelque chose qui peut être caché, appartiennent aux mouvances souverainistes kabyles. Si parler de la Kabylie, prononcer le mot kabyle est frappé de tabou, une pratique courante en territoire algérien, il est choquant que ce tabou traverse la Méditerranée et se retrouve dans la bouche de la secrétaire générale d’Amnesty International, madame Agnès Callamard. Serait-ce de l’incompréhension ? De la pression médiatique ? L’avenir le dira.

Le hirak, des années de sorties hebdomadaires et de contestation d’un système, lequel, paradoxalement, est sorti renforcé dans ses fondements. Ne faut

-il pas se questionner sur la raison d’un échec ? Il semblait être sur les rails d’une « Algérie nouvelle » qui se présente sous un aspect hideux et une stratégie démoniaque à travers des relais visibles qui, sournoisement au fils des marches ont orienté la portée des slogans, ont mis hors la loi des symboles qui jusque-là étaient épargnés. « Chasser le système » disait-on, mais les marques de celui-ci n’étaient-elle pas ancrées dans les esprits même des foules qui manifestaient en chantant le désarroi qui se confondait avec l’espoir ? J’ai entendu chaque les mêmes slogans dénudés, alignés sur les desseins des maîtres d’œuvres, portés par le même support linguistique (la langue du système), la même idéologie (celle qui constitue le fondement principal du régime). J’ai vu émerger au sein des foules des héros auto-proclamés, messagers du régime. J’ai vu des éclats d’espérance jaillir des yeux d’une jeunesse désabusée qui chantait la révolution quand, moi, j’entendais siffler la douleur dans les gosiers. J’ai croisé une élite qui campait bouche cousue, les yeux braqués sur son égo dans une position inconvenable qui attendait la mesure de la balance pour s’exécuter. J’ai observé les formes de mobilisation qui ont montré des erreurs, des attitudes hypocrites et des manipulations flagrantes :

– il y a la référence sclérosante permanente au fait colonial, qui se traduit dans l’exploitation des symboles de la lutte, de ses héros, de ses martyrs et une écriture mythique et falsifiée de l’histoire. Une réappropriation malsaine du récit national qui s’inscrit dans une démarche de sacralisation d’un moment historique anachronique (la majorité est jeune et n’est en rien imbue de ce passé historique) qui empêche toute critique d’une politique résolument unanimiste. Du reste, elle n’est pas chose nouvelle. Cette démarche a été exploitée par les protagonistes de la sale guerre des années 90. Ali Belhadj voyait la mise en place d’un état islamique comme le parachèvement de la libération nationale tout en l’inscrivant dans la mythologie de la seule résistance islamique. Les gens se seraient sacrifiés pour la défense de la religion ne faisant aucunement référence à la terre ancestrale, à la terre d’appartenance (je laisse le lecteur juger une telle attitude). J’ai vu jaillir de la foule des cris de soutiens aux thèses islamo-conservatrices qui scandaient le sacre d’Ali Belhadj devenu soudain la figure attendue qui ramènerait le paradis sur terre.

– il y a un populisme et un nationalisme partagé avec le régime, un repli sur soi et de la xénophobie, la même référence identitaire dans un tryptique officiel : islamité, arabité, amazighité, bien classé dont on connait la couleur lorsque le drapeau amazigh et l’amazighité sont devenus un délit, et la kabylité conduit en prison. – il y a l’ordre donné de serrer les rangs autour de la notion d’unité, celle constitutionnellement définie sous prétexte de ne pas diviser le mouvement, sous les couleurs nationales et anticoloniale qui s’est traduit pas le fameux slogan : chaab/khawa, khawa repris en masse par des militants, des journalistes, des intellectuels et qui a conduit à l’absence de toute dénonciation du délire dogmatique des notions de nation et de peuple , dans le champ médiatico-politique, et qui écarte toute particularité, toute différence.

Mes valeurs puisées dans la République Villageoise kabyle logées à l’enseigne de la solidarité (Leɛnaya n taddart), celle de la fraternité (Tagmat) et de la liberté m’avaient placé dans une position inconfortable : d’une part un soutien à la jeunesse désabusée portée par l’espoir d’un avenir meilleur sur la terre de leurs ancêtres ; d’autre part, mon désir et mon aspiration légitime profonde de vivre librement ma kabylité émancipée de tout ce qui peut l’oppresser. J’avais vite compris que le mouvement était phagocyté par les tenants du pouvoir politico-militaire allié aux forces islamistes à travers la manipulation, la répression lorsque besoin s’en ressent. Il s’est tôt dégagé du mouvement un vent glacial dans la direction d’une situation plus extrême que celle d’hier : unanimisme, unilinguisme, idéologisme, nihilisme, déni historique et mnémonique qui conduira plus tard à la criminalisation de l’opinion, à la criminalisation de la pensée intellectuelle qui a conduit aux emprisonnements massifs d’aujourd’hui, au harcèlement judiciaire.

Des questions se sont vite posées : que sont les fondamentaux de la résistance et de la liberté devenus ? Ceux du recouvrement de l’histoire, de la mémoire, de la culture et de langue ancestrales, ceux de la désaliénation des esprits, ceux qui rejettent l’obscurantisme et la haine, ceux qui condamnent la négation de l’ancêtre et du meurtre de l’enfant ?

L’unanimisme à tout égard, soutenu par le hirak, a permis au pouvoir d’analyser les failles, les erreurs, les limites d’un mouvement populaire qui cachait mal les manipulations des uns et des autres, les différences des visions politiques et philosophiques qui l’animaient et de réagir à sa convenance. Le régime s’est affranchi de tout ce que représente l’État de droit. Il a montré un caractère hideux qui insuffle l’idée de terreur dans les esprits, (et la peur est une arme de dissuasion massive), qui a brûlé la terre kabyle et qui emprisonne sans vergogne massivement ses enfants. Il a fait savoir que le suprême intérêt est son maintien en place, dans la lâcheté des élites politiques et intellectuelles qui se poursuit et dans un silence momentané des chancelleries occidentales. Où sont les « valeureux hirakistes », où est passée la voix de ces élites qui se voilent les yeux pour ne pas dénoncer l‘institution du mépris et de l’arrogance comme mode de gouvernance ! la répression, l’humiliation comme mode de soumission de l’homme à l’ordre établi !

A vrai dire, ils attendaient et attendent toujours l’heure de la curée, pris dans le même tourbillon de l’argent facile d’un pays assis sur un puit de pétrole, ivres de la course au piédestal. Sinon, comment comprendre le silence complice devant l’« été infernal 2021 » quand des hommes, des femmes des enfants, le bétail, la faune et la flore ont été calcinés.! comment comprendre la négation de la nature des emprisonnements massifs de jeunes hommes et de jeunes filles !

Albert Camus a posé la question suivante : « Que préfères-tu, celui qui veut te priver de pain au nom de la liberté ou celui qui veut t’enlever ta liberté pour assurer ton pain « . Je lui réponds : je veux vivre libre et responsable de mon existence dans la dignité, dans le respect des valeurs de mes parents, celles de ma terre natale. Tant pis si ma critique qui porte sur la question du vrai , de ce qu’est la vraie connaissance des faits fait de moi un terroriste.Alors, faut-il redorer le blason du hirak ?

Raveh Urahmun Paris le 23 février 2022

SIWEL 261500 FEV 2022