L’ÉLITE KABYLE PEUT-ELLE ÉVOLUER ET SE METTRE AU DIAPASON DE L’HISTOIRE ?

KABYLIE (SIWEL) — Dans une vidéo tirée des archives et mise en circulation récemment sur les réseaux sociaux, on voit Hocine Ait Ahmed au côté du colonel Mohand Oulhadj, en tenue militaire en train de haranguer la population kabyle, pour lutter contre les troupes de Boumedienne. Cette vidéo en — elle-même consacre définitivement le cas de la Kabylie par rapport au reste de l’Algérie. Nous sommes au lendemain d’une indépendance chèrement acquise et pour laquelle les Kabyles ont payé le prix fort. Pourtant malgré ces immenses sacrifices, Alger livre une guerre atroce à la Kabylie. Chose frappante, dans cette vidéo on entend Ait Ahmed qualifier, dans son discours, l’armée de Boumedienne d’armée coloniale ! C’est tout dire.

En vérité de tout temps l’élite kabyle avait buté sur un fait têtu : la Kabylie ne ressemble en rien au reste de l’Algérie. Quoi que le discours de cette classe politique fut toujours axé sur le nationalisme, l’unité du pays, au fond d’eux nos politiciens (toute tendance confondue) savaient que quoi qu’ils fassent ils seraient toujours, au regard des autres algériens, des Kabyles. Donc porteurs d’une sacrée tare : leur Kabylité. On se souvient des paroles de Mohamed Boudiaf commentant les résultats des premières législatives multipartites remportées par le parti islamiste le FIS, sauf en Kabylie qui avait voté pour le FFS : «  les Kabyles on voté Kabyles » disait-il. Cela sonnait comme un reproche, comme une indexation d’une particularité négative à ses yeux.

Dans son livre sur le colonel Amirouche, Said Sadi tout au long de son récit, nous fait découvrir le conflit kabylo-arabe que se livraient underground les dirigeants de la révolution. Le rejet de tout ce qui est kabyle était patent dans cette biographie consacrée à l’un des héros sacralisé par le peuple kabyle. Cette méfiance des autres envers tout ce qui est kabyle, a touché tout les leaders kabyles de cette période y compris Krim belkacem (l’artisan des accords d’Evian) et Abane Remdane (le père du congrès de la Soumam). Comme on le voit le mal ne date pas d’aujourd’hui, d’ailleurs Matoub Lounes dans sa terrible chanson «  adara n At Iraten » le dit si bien : «  akal anwa i t-id iharen/cceḥna anwa i tt-yewwin ».

Pourtant au lieu d’aller vers une conclusion saine de l’analyse des faits et aboutir à cette vérité : « dans le sillage de cette Algérie qui a opté pour un état jacobin,  pour l’arabisme et l’islamisme la Kabylie est dans une impasse ! » L’élite kabyle dans sa majorité et jusqu’à une date récente (2001) ne voulait pas démordre et reconnaitre le suicide historique vers lequel elle menait tout un peuple en prônant contre logique : une unité nationale au détriment des valeurs de la Kabylie et de son identité. Cela nous amène à poser une question cruciale : est-ce que la classe politique kabyle est capable d’évoluer et de soustraire au nationalisme hérité du mouvement nationaliste à l’époque coloniale (domination française) ?

Le mouvement du MAK, URK mis à part, il semble que non. Pourtant le récent passage de Noredine Ait Hamouda sur les ondes de BRTV, laisse perplexe et peut même amener à penser qu’une évolution vers d’autres choix pour cette élite est possible. À entendre les propos du fils du colonel Amirouche, si les choses restent à l’état (entendre si on ne propose pas, mieux si on n’impose pas, d’autres alternatives) même d’ici 50 ans le système qui préside la destinée de cette Algérie, ne tombera jamais, et les choses ne changeront pas d’un iota. De fait la solution pour Noredine Ait Hamouda réside dans l’autonomie des régions et pour mieux étayer cette proposition et mettre en exergue sa fiabilité il cite le choix stratégique des fondateurs du FLN historique ; la division du pays en 6 Wilayas autonomes, et ce en plein révolution.

Citer cet exemple (l’intervention de Noredine Ait Hamouda) que l’on soit d’accords ou pas avec lui, montre bien une évidence : la classe politique kabyle est consciente (même si elle le nie dans son discours officiel) de l’impasse actuelle dans laquelle est plongée la Kabylie. Cet exemple montre aussi qu’une évolution de la classe politique kabyle est du domaine du possible. La seule question qui demeure est la suivante : cette classe osera-t-elle justement faire sa mue ? S’émanciper et conjuguer avec la réalité sociologique et ethnique du terrain ? Osera-t-elle cette remise en cause, certes douloureuse, mais nécessaire, pour le bien de la Kabylie ? Les semaines qui viendront seront décisives, tout se jouera d’ici peu, car l’histoire a horreur de la stagnation.

H@S
SIWEL 310030 JAN 21