CONTRIBUTION (SIWEL) — Durant la colonisation française, le nationalisme kabyle qui s’était manifesté en tant que « berbero-nationalisme » a été bridé pour cause de lutte « commune » pour l’indépendance, le voilà qu’il resurgit sous la colonisation algérienne, car face au nationalisme des arabo-islamistes, les Kabyles avaient tenté l’amazighité, en vain à cause de la fumeuse unité nationale. Taxés de régionalistes, longtemps brimés, les kabyles sont passés, depuis le Printemps noir de 2001, outre les considérations du colon du moment… pour être eux-mêmes et se revendiquer fièrement comme tels, un Peuple, une Nation, un Etat !

 

Comment le pays kabyle est devenu la Kabylie ? Tamurt n Leqvayel, que l’on pourrait traduire par la terre des tribus républicaines, s’affirme comme Nation. Les idées nationalistes kabyles se propagent au sein des Kabyles de Kabylie, de France et d’ailleurs, comme une trainée de poudre. Le facteur social à lui seul ne peut suffire à expliquer un tel phénomène. Des revendications sociales de jeunes qui ne seraient pas satisfaites et qui se transforment en nationalisme ? Un raccourci idéologique qu’aucun scientifique ou journaliste digne de ce nom ne saurait emprunter.

En réalité, l’idée d’une nation kabyle est aussi vieille que Tamurt n Leqvayel elle-même. Même lorsque ces terres qui allaient de Cherchell à Skikda ne portaient pas ce nom dans l’Antiquité. Des terres qui lors de l’avènement du premier Etat amazigh, la Numidie n’étaient ni tout à fait Massaessyles ni tout à fait Massyles. Elles avaient déjà leurs singularités propres avec leurs géographies propres. Boulifa, pionnier amazigh s’il en est, nous apprend que c’est surtout avec la présence des romains que l’on entend parler de cette nation indomptable. La Kabylie des cinq tribus légendaires du Djurdjura née des cinq fils d’un géant. La Kabylie Mythique des Montagnes de Fer réputées imprenables et que même Rome a renoncé à conquérir. Alors que par ailleurs, elle n’a pas renoncé à soumettre les irréductibles villages gaulois et les populations germaniques opiniâtres et déterminées à rester libres coûte que coûte.

Boulifa nous apprend que la Kabylie maritime est restée déserte plus d’un millénaire. Déserte dans la partie où Rome a installé de force des tribus originaires de l’Ifrikya (Tunis) contre leur gré. Si la Kabylie maritime est restée déserte, c’est que dès que cela a été possible, les kabyles (izwawen) ont chassé ces tribus indésirables. Et décrété ensuite que ces terres resteraient inhabitées jusqu’à nouvel ordre, car telle était la volonté du pays kabyle (Ihwa Yagh !). Et ces terres resteront désertes un millénaire. Il aura fallu le péril hilalien au 11ème siècle pour que les kabyles laissent à nouveau des amazigh s’installer. Car elle a accordera Laanaya à la tribu des At Jennad, au bord de l’extinction, sous les assauts séculaires des hilaliens orthoptères. Cette tribu kabyle, à part entière, a su se refaire une santé à l’abri de ces populations envoyées pour ravager Tamazgha centrale ni plus ni moins.

La présence turque a été tolérée par les kabyles afin de servir de bouclier aux appétits espagnols. Vgayet outragée (Béjaïa), Oran humiliée, Alger brisée mais toutes trois libérées. Les kabyles ont toléré la présence ottomane, non sans leur rappeler de temps à autre qui étaient maître à bord, surtout concernant Alger. Elle a toléré la présence turque ou plutôt le partenariat turc afin de palier à l’insuffisance des moyens maritimes nécessaires pour résister à la dernière guerre sainte chrétienne mené par l’Espagne et lancée par le Pape contre les côtes barbaresques. Mais le temps était venu de bouter au dehors un partenaire trop pressant, trop présent. C’est que la Kabylie menait ses préparatifs avec le soutien de la Rahmaniya pour sortir ces désormais indésirables ottomans. Mais un chasse mouche utilisé à la légère par un Dey imbu de lui-même est venu tout compromettre. La France de Charles X débarque à Sidi Ferruch un 3 juillet. Date que Mohand Oulhadj, chef de la Willaya III, a choisi pour proclamer l’Indépendance 132 ans plus tard. L’Empire Ottoman subira son premier démembrement avec la Grèce et l’Algérie. La Grèce pour son indépendance et Tamazgha centrale (l’Algérie) pour une autre forme d’aliénation. 27 ans auront été nécessaire (1857) et 14 ans de plus (1871) pour signer l’invincibilité « temporaire » de l’Empire et de la République impériale français. Ce dernier épisode ne fut pas sans incidence sur l’éradication des élites du peuple kabyle. Et entrainera la perte d’une partie de sa conscience mémorielle.

Ce démembrement, ce trauma mémoriel et colonial contrarieront durablement l’éveil nationaliste kabyle encore à ce jour. Le nationalisme kabyle est confondu avec le nationalisme algérien pendant 9 décennies. Un temps ou l’empire colonial français n’a cessé de désorganiser la Kabylie afin de prendre le contrôle de Tamazgha centrale. Il est impossible de contrôler Tamazgha centrale sans contrôler la Kabylie qui est le cœur du cœur de cet espace géographique. La République impériale française le savait et a coupé la Kabylie en deux puis en plusieurs zones administratives, tantôt sous le joug des bureaux arabes pour les kabyles les plus récalcitrants, tantôt en bureau indigène moins racistes pour les Arches moins belliqueux ou plus sages.

Pendant la période coloniale, l’éveil le plus manifeste du nationalisme kabyle en tant que tel fut quand Messali Hadj, de l’Etoile Nord Africaine devenu PPA/MTLD, est revenu de Suisse, après avoir été endoctriné par le libanais arabiste Chakib Arslan. La crise dite « berbériste » n’était en réalité que la manifestation d’un berbéro-nationalisme qui se confondait avec le nationalisme arabo-algérianiste. Ce berbéro-nationalisme « algérien », comme on l’a vu, n’est que la manifestation d’un nationalisme kabyle ancestral. Un nationalisme kabyle contrarié par un congrès de la Soummam qui enfantera une structuration jacobine. Abane le savait bien, il fallait réunir toutes les forces de Tamazgha centrale pour se libérer d’un occupant largement supérieur par sa science et sa technologie. Mais ce que Abane ne savait pas et qu’il ne saura peut être que tardivement en 1957, c’est qu’il confondait son patriotisme kabyle avec un patriotisme algérien qui n’en était pas un. Le patriotisme algérien était en fait un patriotisme arabe et soviétique de surcroît. Krim, nous apprends Rachid Ali Yahia, regrettera amèrement cette confusion sitôt l’indépendance acquise ou tout du moins proclamée. Ce patriotisme ne méritait pas le patriotisme d’hommes comme Abane, Amirouche, Ben M’Hidi ou Boudiaf… Ce patriotisme ne pouvait être le fait que d’ignorants comme Boussouf ou d’hommes nourris à la mamelle de l’islamisme comme Boumediene à Tunis et au Caire. Quant à ce pantin de Benbella a-t-il été un jour patriote de quoi que se soit ?

Mohand Oulhadj a proclamé l’indépendance à Sidi Ferruch le 3 juillet 1962 en plantant le drapeau algérien. A défaut de drapeau kabyle pouvait-il en être autrement ? A-t-il compris que son patriotisme sincère se confondait avec un patriotisme algérien qui lui était étranger ? Une chose est certaine, devant tous les « notables » kabyles du FLN acquis à Boumediene, il ne pouvait que laisser les générations futures le soin d’en décider. Mohand Oulhadj pensait pour ainsi dire que le peuple kabyle avait assez souffert et n’a donné que trop de morts pour se libérer du joug colonial. La Kabylie doit se refaire une santé et enfanter de nouveau et reprendre la lutte pour les libertés démocratiques. On a entendu l’appel, on va reprendre les luttes démocratiques et patriotiques mais cette fois-ci nous ne confondrons pas nationalisme kabyle et nationalisme arabo-algérianiste. La Kabylie a enfanté dans un espace Algérien, qui a opté pour un « autre colonialisme ».

Cet autre colonialisme de l’espace algérien de Boussouf et de Boumediene repose sur la diabolisation de la Kabylie. Car qui contrôle la Kabylie contrôle Tamazgha centrale. Boumediene et ses successeurs à ce jour n’ont pas tenté juste de la contrôler. Ils ont essayé de la couper de sa singularité propre : sa langue et sa civilisation kabyle. En réaction, dans les années 70, le temps de l’Académie berbère sera décisif, certains qualifieront ces nationalistes kabyles de « berbéristes » voire de « racistes ». Mais c’est déjà un vent nouveau qui souffle sur l’Histoire, Le Printemps berbère de 1980, Tafsut Imazighen, sonne déjà le glas du Mythe algérien. Le poison arabo-algérianiste est instillé mais en vain car à tout poison, il y a un antidote. Et Taqvaylit n’est pas qu’un état d’esprit, c’est un puissant antidote. D’après Mouloud MAMMERI, la langue kabyle n’est pas simplement une langue, elle est d’abord et avant tout une philosophie de vie. Il nous apprends également qu’un kabyle ne se réalise pleinement que parmi les siens.

Cette philosophie de vie qu’est Taqvaylit est indissociable d’une Terre kabyle. Sachant cela, comment un kabyle peut-il accepter sans broncher qu’une constitution écrite à la hâte par des esprits perfides fassent de la Kabylie un « Ard arabi », une terre arabe ? En décrétant que l’Algérie est une Terre Arabe, l’Etat a franchi une ligne rouge que même le dernier des kabyles ne saurait accepter. La Terre kabyle est kabyle. Dire, écrire le contraire est un casus belli pour tout kabyle qui se respecte. Des kabyles dignes de ce nom et qui se respectent, il y en a légion ! L’Etat algérien avec cette révision constitutionnelle a fait « Sécession » avec la Kabylie qui n’en attendait pas tant. L’Etat algérien a fait sécession également avec les Kabyles de France qui sont l’écrasante majorité des nord-africains en France, avec l’article 51. L’Etat algérien n’est pas à sa première contradiction quand il fait de Tamazight une langue à moitié officielle sur une terre arabe.
Mais il se trompe quand il croit satisfaire une revendication. Cela fait bien longtemps que Tamazight officielle n’est pas une revendication. Les Kabyles de Kabylie, de France et d’ailleurs se battent et se battront pour officialiser l’indépendance de la Terre Kabyle. Chaque jour un peu plus, les ruisseaux de nationalistes kabyles gonflent un peu plus les rivières. Et désormais l’Etat colonial algérien devra reconnaitre ce que la Kabylie est déjà : un pays indépendant, une nation souveraine ! Souhaitons simplement à nos frères amazighophones et derjaphones de cet espace qu’est Tamazgha centrale, de s’affranchir également comme les kabyles du colonialisme arabo-algérianiste ! Ce que le peuple kabyle veut désormais, ce n’est pas l’officialisation de Tamazight, il veut l’indépendance de la Kabylie ! Car la Kabylie indépendante est un fait ! Un fait qui s’impose à toutes et à tous !

Vive les Arches Républicains kabyles ! Vive la Kabylie !

Salem AT SEYD

SIWEL 270406 AVR 16

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