LA FABLE DU CORBEAU, DU ROSSIGNOL ET DU COCHON

KABYLIE (SIWEL) — Comme toujours, il y a une part de sincérité dans tout ce qui se dit par les uns et par les autres, à propos du conflit moyen-oriental et du dernier « billet » d’El Watan qui, par ailleurs, n’est pas à sa première chicane. Il y a aussi une forme d’anachronisme, voire de comportement inadmissible qui consiste à céder d’abord une concession : cette sempiternelle obligation de montrer d’abord patte blanche pour éviter d’être assigné au silence et d’être désigné, de fait, à la vindicte du dominant et ce, pour pouvoir, ensuite, livrer une opinion, voire pour avancer une primitive vérité de la Palice. Culpabiliser et balbutier résume ce schéma schizophrénique qui altère le débat et nourrit le non sens. Or et sans être tenté par cette attitude grimacière qui consiste à concilier à tout prix le devoir d’humanité et le souci de ne pas froisser la susceptibilité des tenants de la doxa nationaliste arabo-musulmane, et c’est là, une des réactions les plus édulcorées au billet en question, quand on lit ce genre de propos, extrait du billet en question : « Si les Palestiniens sont spoliés de leur terre, les Kabyles le sont de leur culture. Ce qui en fait des frères de combats[…] Le Kabyle ne peut qu’être solidaire, qu’être frère du Palestinien, du Basque[…] du Rohingya et[…] tous les peuples[…] qui se battent pour continuer d’exister en tant que tels. C’est pour cela que je me sens « le patriote de toutes les patries opprimées » comme disait Lounès Matoub » (Sic), on ne peut ne pas éprouver l’envie de convoquer l’histoire pour constater que le peuple juif est, lui aussi, spolié de sa terre millénaire. Dans un tel cas où Israélites et Palestiniens sont historiquement spoliés de leurs sols, que faire si on a réellement envie d’être du côté de la justice, du droit et, surtout, de l’équité ?

À cela s’ajoute l’irréductible volonté des Arabes à transformer ce pain bénit qu’est ce conflit d’ordre territorial, en conflit religieux et ils y sont arrivés, ce qui, du reste, ne date pas d’aujourd’hui et qui, avouons-le, empêche plus que tout autre chose de solutionner ce problème sans lequel, cela dit en passant, les mouvements islamistes et les régimes arabes sans exception, perdront à coup sûr, un « os » précieux, pour ne pas dire une raison majeure d’exister. Par conséquent, les uns et les autres ont un besoin vital de l’existence de ce conflit, et quand on a autant besoin de quelque chose, cela va de soi, on fait tout pour l’entretenir. Cela explique pourquoi le conflit israélo-palestinien est sacralisé dans tous les pays « arabo-musulmans », reléguant de ce fait, tous les autres conflits de la planète en seconde zone. Le Yémen, pourtant arabe et musulman, vit un massacre au quotidien, ce qui n’est pas le cas des Palestiniens, pourtant, les Arabes et les musulmans n’investissent point les rues ; leur réactivité dépend donc de l’identité religieuse de celui qui est en conflit avec le musulman, car pour le reste, s’agissant des victimes non-musulmanes, leur indifférence est quasi canonique. C’est justement toute la différence avec la Solidarité dans sa définition authentique, humaine et humaniste.

Ne désirant parler au nom de quiconque, j’ose quand même le « je » pour me soulever la question suivante : Qu’en est-il de ma personne en tant que Kabyle anonyme ? N’étant ni Juif, ni Israélien, ni Palestinien et, n’en déplaise à tous les Chawkis du parc médiatique de la « Dézédie », ni Arabe, ni musulman, je ne peux diverger avec la position matoubienne qui consiste à se sentir « le patriote de toutes les patries opprimées. » ; manifestant invariablement ma solidarité, à mon petit niveau, avec le Tibétain, le Kurde, l’Amérindien, le Kanak, le Catalan, le Copte, le Tigréen, le Bahaï, le Yézidi, le Somalien, le Papou… mais je n’hésite pas un seul instant à m’inscrire en faux contre cette imposture médiatique qui neutralise l’intelligence collective en la jetant dans les limbes de la haine et de la violence. Pis que cela : derrière une sanctification d’une question éminemment politique qui a un goût de glaire et une odeur de soufre, on se sert du pathos pour caresser dans le sens du poil un environnement plus que partial et fielleux dans son appui hystérique à des Palestiniens, eux-mêmes otages de cette OPA hostile sur leur propre cause et partant, sur leur destin.

Étant à mille lieues de Jérusalem, je me sens naturellement plus interpellé par ma condition de Kabyle opprimé tous les jours(1), de la naissance au trépas, d’une façon ou d’une autre, allant de la discrimination administrative, fiscale, économique… jusqu’à l’emprisonnement, l’expatriation et l’assassinat, en passant par la persécution politique, policière et judiciaire, la spoliation aussi bien de ma langue, de ma sociologie, de ma mémoire, de mon identité que de ma terre… autant de choses que seul un Kabyle non assimilé et non assimilable peut ressentir et peut comprendre ; ce que les voix autorisées renâclent à assumer. Interpellé, je le suis également par la cause des peuples qui sont dans mon environnement naturel et géographique, tels que celle des Mozabites, des Azawadiens, des Rifains, des At Willul et des Neffousséens, des Catalans, des Corses et par toutes les sociétés en butte aux tensions qui ont lieu en Méditerranée et sur le continent africain. Aussi, étant à une époque où l’histoire et ses vicissitudes ont fait de chacun une œuvre à part, on s’en fiche de ce que les autres peuples amazighs pensent de ce conflit lointain. Une origine commune ne suffit pas pour uniformiser la sociologie et les aspirations. Je m’inscris donc résolument dans mes valeurs kabyles, méditerranéennes et humaines, telles que articulées dans cette orientation matoubienne, ce qui ne peut se traduire que par une position impartiale, car motivée par l’unique aspiration à la paix dans le monde et à la justice pour tous et ce, indépendamment de la religion, de la couleur de la peau, de la langue et de tout autre considération. Dans ce sens, étant conscient de l’incapacité individuelle à peser, d’une manière ou d’une autre, dans ce conflit lointain, on ne peux qu’exprimer, avec la petite voix de citoyen de base, son profond souhait de voir Israéliens et Palestiniens vivre dans une paix totale et pérenne, et dans le respect mutuel et ce, au même titre que tous les peuples du monde qui sont en conflit ouvert ou latent. Pour autant, aussi universaliste et humaniste soit-il, cet élan profond et sincère n’est que le rêve du montagnard qui a couché ses propres mots sur ce support, ce qui suffit, dans l’esprit de la rue arabe, pour accabler, calomnier, menacer, et dans une certaine presse qui n’existent, en partie, que grâce au lecteur kabyle, pour verser dans l’offense, comme si l’existence ne méritait de la considération que s’il y a adhésion instinctive à tout ce qui animent les foules arabo-musulmanes de la planète, ce qui, cela n’aura échappé à personne, m’est totalement étranger.

En somme, dans l’étroitesse de cette vision des choses, la respectabilité du Kabyle résiderait dans le renouvellement perpétuel de l’ancien mantra « un Kabyle respectable est un Kabyle qui adopte les positions arabes avant tout autre chose ». Aït-Ahmed s’y est inscrit très tôt, Sadi n’y a pas résisté longtemps et le microcosme politique et artistique actuel y est quasi immergé. Ce Kabyle-là est celui qui défend toutes les causes et toutes les patries de la planète, jamais la sienne propre, hormis pour se donner bonne conscience, pour flouer l’opinion ou quand il est question de folklore. Dans un esprit chawkiste qui ignore jusqu’à l’origine et à la signification du vocable « brobro » dont il a fait, pour le coup, un très mauvais usage, s’affirmer kabyle et défendre sa kabylité serait un repli sur soi qui ôte de fait l’universalité et ce, au nom d’un universalisme étriqué qui cache mal la condescendance, le paternalisme, voire l’antipathie et le mépris historiques envers cet éternel colonisé qui ne doit même plus aspirer à une souveraineté de la pensée. En somme, la kabylité en tant qu’identité, ne serait qu’une souillure qui exclue de la citoyenneté, voire de l’humanité. En revanche, soutenir instinctivement la Palestine, s’exprimer en arabe en Kabylie et ailleurs, faire l’éloge des supposés réalisations du pouvoir, prendre part à des élections qui sont systématiquement suivies des traditionnelles jérémiades post-électorales des perdants qui n’assurent pas moins, pour le fric, le rôle infamant de figurants dans des institutions alibi, se soumettre comme un captif au moindre commis de l’État et au simple agent du coin, mettre des chansons arabes dans son autoradio ou dans sa cérémonie de mariage, faire la prière et voiler sa femme, se produire en spectacle sous l’égide des autorités et en présence des officiels, chanter en arabe sans exiger des autres de le faire en kabyle(2)… voilà, en quelques axes, les traits du « Kabyle modèle » selon le suprémacisme hidjazien et dans l’esprit d’un Chawki qui, manifestement, se plait à incarner dans la célèbre fable, non le rôle du corbeau, encore moins celui du rossignol, mais celui du porc.

Allas DI TLELLI
11/12/2017
PS: J’apporte mon soutien et ma solidarité agissante aux étudiants et aux victimes de la répression raciste à Tuviret (Bouira).


Notes:
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(1) Slimane Bouhafs, Massinissa Benalioua : des prisonniers d’opinion kabyles qui croupissent dans les prisons algériennes dans l’indifférence des médias, des droit-de-l’hommistes sectaires et des chawkis de la RADP.
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(2) A un journaliste du quotidien Le Matin qui lui demandait s’il comptait un jour, chanter en arabe, Matoub Lounès rétorqua avec sa spontanéité légendaire : « Le jour où vous demanderez aux autres pourquoi ils n’apprennent pas la langue kabyle, à leurs écrivains pourquoi ils n’écrivent pas en kabyle et à leurs chanteurs pourquoi ils ne chantent pas en kabyle, revenez me poser cette question et je vous livrerai ma réponse. ».

SIWEL 201545 MAI 21