PARIS (SIWEL) — Le président du Gouvernement provisoire kabyle en exil, Ferhat Mehenni, a accordé mardi une interview au journaliste et écrivain chawi Hichem Aboud, directeur du site « Mon journal », dans laquelle, il revient, à la veille des marches du 20 avril dans les trois plus grandes villes de Kabylie, Tuvirett, Vgayet et Tizi-Wezzu, sur l’officialisation de Tamazight : « La Kabylie, a depuis le Printemps Noir de 2001, tourné définitivement la page d’une revendication linguistique pour ouvrir celle de son indépendance. »
Siwel publie ci-après l’intégralité de l’entretien :

 

Malgré une intense activité politique depuis les années de fac à l’Institut des Etudes Politiques de l’Université d’Alger à nos jours, il demeure peu médiatisé tant les média lui restent interdits en Algérie. En célébrant le printemps berbère dont il était l’un des principaux acteurs tant en 1980 qu’en 2001, nous avons jugé utile de donner la parole à l’homme qui s’est tracée la voie de sa liberté sur le périlleux chemin du séparatisme, ce sujet tabou chez la quasi totalité des Algériens dont les Kabyles. Au lieu de le stigmatiser ou l’invectiver donnons-lui la parole et apportons-lui la contradiction si on n’est pas d’accord avec lui. Entretien

La Kabylie s’apprête à célébrer le printemps berbère du 20 avril dans une atmosphère marquée par les dernières mesures prises par le gouvernement algérien contre le MAK. Pensez-vous que les manifestations qu’organisera votre mouvement ne risqueraient-elles pas de déboucher sur des affrontements entre vos militants et les forces de police ?

Ferhat Mehenni : Le pouvoir colonial algérien ne peut empêcher le peuple kabyle de rendre hommage à celles et ceux qui sont tombés pour sa liberté et sa dignité au Printemps Noir de 2001, ni au grand homme qu’était Mouloud Mammeri dont l’interdiction de l’une de ses conférences est à l’origine de la révolte de la Kabylie le 20/04/1980. La Kabylie marchera ce 20 avril dans ses trois plus grandes villes, Tuvirett (Bouira) Vgayet (Bougie, Béjaïa) et Tizi-wezzu (Tizi-ouzou).

Le nouveau cette année est un ensemble de mesures prises par le pouvoir répressif algérien pour confisquer à la Kabylie jusqu’à sa mémoire, son histoire. Il s’invite à l’événement qu’il escompte s’approprier en organisant ses propres marches, concurremment à celles du MAK (Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie). S’il ne chercherait qu’à marcher avec ses maigres partisans locaux il se ridiculiserait. Il projette de ramener des troupes d’ailleurs que de Kabylie, des policiers en civil notamment, pour organiser des contremarches en vue de provoquer des affrontements entre ses « manifestants algérianistes» et les citoyens kabyles épris d’indépendance, et de se donner ainsi la légitimité d’une répression. Or la répression est ce qui soude les rangs de la Kabylie. Le pouvoir algérien est donc perdant sur toute la ligne.

Je ne sais pas qui lui a soufflé cette idiotie de rivaliser avec le MAK sur le terrain de la symbolique kabyle. Au lieu de « récupérer » le 20 avril, il ne fera que légitimer notre combat en lui apportant sa propre caution officielle. Ce qui est sûr est que dans les rangs de ses manifestants il n’y aura pas de citoyens kabyles. Le raisonnement absurde qui l’a amené à cette incongruité est le suivant : « maintenant que le pouvoir a concédé la reconnaissance de la langue amazighe (crédo kabyle des années 80/90) il aurait mis fin à la contestation kabyle. Or la Kabylie, a depuis le Printemps Noir de 2001, tourné définitivement la page d’une revendication linguistique pour ouvrir celle de son indépendance.

La Kabylie n’échangera pas son indépendance contre une concession de langue. D’ailleurs, nous n’avons signé aucun pacte avec lui à ce sujet. Il joue en solo, il continue d’afficher son visage de dictateur et de pouvoir colonial que le peuple kabyle n’a jamais supportés.

En cas d’affrontements avec les forces de police, cela ne risque-t-il pas de plonger la Kabylie dans un tourbillon de violence qui arrangerait les affaires du pouvoir algérien pour réprimer toute contestation et toute revendication de liberté ?

Ferhat Mehenni : Si c’est l’affrontement qui est recherché par Alger, cela voudrait dire au moins deux choses : Qu’en premier lieu, c’est la mort du symbole qu’est le 20 avril qui est son objectif réel et non pas le fait d’obtenir quelques sympathies kabyles; et qu’en second lieu, ces affrontements ne seront qu’un moyen de diversion pour camoufler les luttes de succession qui font rage au sommet de l’Etat. C’est là une pratique éculée de la mafia.

On se souvient qu’en décembre 1978, quand son président Boumediene était cliniquement mort, c’était en Kabylie que les tenants du régime avaient organisé un parachutage d’armes pour détourner l’opinion de l’absence de pilote à bord de l’avion, le temps de lui trouver un successeur.

Les Sellal, Ould Ali El Hadi, Haddad et Brahim Merad n’auront été que les instruments d’un plan diabolique visant à faire de la Kabylie un abcès de fixation, une plaie ouverte que l’on saigne de manière périodique, en attendant de désigner le futur parrain de la mafia. Ceux qui sont partisans de cette ignominie oublient que c’est là, aussi l’un des ressorts de l’indépendantisme kabyle. En tant que Kabyles, nous ne voulons plus faire partie de ce pays qui ne nous veut que du mal, ne cherche qu’à nous donner la mort !
En plongeant de nouveau la Kabylie dans un tourbillon de violences, il n’est pas sûr que celle-ci se laisse faire comme en 2001. L’Algérie se disloquerait violemment ! Nous mettons en garde les apprentis sorciers qui jouent avec le feu. Le MAK et l’Anavad (Gouvernement Provisoire Kabyle), en phase avec la Kabylie, ont amorcé un processus politique qui, à terme, débouchera sur un référendum d’autodétermination du peuple kabyle. Si le pouvoir choisit de l’interrompre par la violence et cherche un conflit armé, il en porterait toute la responsabilité.

On ne massacre pas impunément des populations civiles, pacifiques et désarmées.
Nous en appelons donc à la communauté internationale, notamment le Conseil de Sécurité de l’ONU, l’Union Européenne, les USA et la France pour intervenir en cas de violences provoquées par le pouvoir algérien et assurer la protection du peuple kabyle. Il y a urgence.
En attendant ce qui va se passer demain, disons-le sans ambages : la répression ne nous fait pas peur. C’est à ceux qui la projettent d’en être eux-mêmes effrayés.

BHL, a pour la première fois, pris position en faveur du Gouvernement Provisoire Kabyle. N’y a-t-il pas risque à ce que son soutien soit exploité contre vous ? (Voir le lien http://laregledujeu.org/2016/04/15/28755/kabyles-un-peuple-sans-reconnaissance-en-algerie/

Ferhat Mehenni : Bien au contraire ! Cela montre que le Gouvernement Provisoire Kabyle et le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie sont enfin parvenus à un niveau de crédibilité internationale important. Nous avons grandi et nous forçons l’admiration de l’intelligentsia qui, par ses analyses, influence le cours des événements internationaux et la marche du monde. Désormais, sur la scène internationale, la Kabylie a une visibilité qui facilitera mieux son insertion dans le concert des nations et la légitimité de son droit à son autodétermination. A ce titre, je remercie le site laregledujeu.org et Bernard Henri Levy d’avoir donné de l’écho à la cause kabyle.

Entretien réalisé par Hichem ABOUD
à Paris le 19 avril 2016

Source : Mon Journal
SIWEL 192355 AVR 16

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