BRUXELLES (SIWEL) – Daniel Rolan est Chargé des Relations Internationales auprès de Ciemen, une ONG catalane qui défend le droit à l’autodétermination des peuples encore sous le joug des Etats oppresseurs dans le monde. Rencontré à Bruxelles, il a accordé cet entretien à Siwel.

 

Pouvez-vous nous dresser un état des lieux sur la rencontre de Bruxelles sur la thématique du droit à l’autodétermination des peuples ?

Elle a été une rencontre très positive parce que tous les délégués ont pu expliquer la situation actuelle de leurs peuples, ce qui nous permet de mieux nous connaître, et au même temps nous avons discuté une nouvelle stratégie par rapport à la défense des droits collectifs des peuples auprès des organismes internationaux

Comment comptez-vous aider les peuples du Monde qui militent pour leurs droits à l’Autodétermination ?

Le Réseau agira dans deux directions. D’un côté, il s’agit de renforcer les réseaux des sociétés civiles. L’hypothèse qui soutient cette position est la suivante: si les réseaux de société civile des nations sans État sont plus denses, ces nations ont plus de capacité pour avance dans la reconnaissance de leur identité politique, sociale et culturelle sur le plan international.

De l’autre côté, nous visons à déployer de stratégies de pression sur des institutions internationales, telles que les Nations Unies, ou sur des organisations régionales, telles que l’Union Européenne ou l’Union Africaine, pour des engagements effectifs concernant les droits collectifs des peuples soient approuvés.

De plus nous n’oublions pas qu’une de nos tâches les plus prioritaires est donner de la diffusion aux peuples les moins connus par le monde dans le but que la société internationale en ait connaissance, ce qui est un facteur clé pour augmenter les possibilités d’atteindre leurs droits collectifs. La société civile internationale doit avoir connaissance de tous les peuples du monde n’ayant pas des droits collectifs reconnus pour qu’elle puisse exercer des pressions sur les Etats.

Quels sont les instruments dont vous disposez pour agir sur le destin des peuples qui souffrent du refus des Etats négationnistes d’accorder le droit à l’autodétermination aux peuples sous leurs occupations ?

Nous sommes conscients de nos limitations parce que nous faisons face à des acteurs beaucoup plus puissants que nous, les Etats. Pourtant nous savons qu’ils ne sont plus les seuls acteurs à jouer sur le plan international et que nous avons un marge de manœuvre pour agir sur la scène mondiale. A ce moment nous avons fait un pas très important : être présents directement aux centres de décisions des institutions régionales et internationales, ce qui a commencé par Bruxelles et continuera, si nous parvenons à avoir les ressources suffisantes, par Genève.

Mais nous avons un facteur encore plus important : un réseau d’activisme répandu sur tous les continents qui vise à sensibiliser nos sociétés sur toutes les nations sans Etat du monde. Notre connaissance et reconnaissance mutuelle et le plus fondamental des ressources dont nous disposons, le point de départ pour être capable d’agir de façon effective sur le plan international.

Pourquoi cherchez-vous un statut d’indépendance dans une Catalogne qui vit dans un régime politique d’Etat autonome?

Tout d’abord il faut préciser que la Catalogne n’est pas reconnue par l’Espagne comme un Etat Autonome mais comme une Communauté Autonome. Même si cela pourrait paraître insignifiant, ces mots ont une importance capitale dans l’Etat Espagnol puisque ils font la différence entre un Etat fédéral, possibilité interdite par la Constitution Espagnole (première dénomination), et un Etat décentralisé ayant un gouvernement central fort (deuxième dénomination).

Au début de la transition politique du régime Franquiste au régime (insuffisamment) démocratique actuel, en 1978, la majorité du peuple Catalan a voté pour la Constitution Espagnole, qui ouvrait la porte à un possible autogouvernement pour les minorités nationales. Les compétences offertes par la Constitution étaient limitées, mais le Peuple Catalan les a acceptés parce que le contexte politique de la transition était très instable et la possibilité d’une évolution démocratique et nationale était à l’ordre du jour. Dans ce cadre, le Peuple Catalan a choisi et approuver un statut d’autonomie en 1979 respectant ces conditions dans le but d’acquérir davantage de marge d’autogouvernement dans l’avenir.

La culture politique du nouvel régime politique s’est rapidement instaurée partout en Espagne, aussi en Catalogne. Le Gouvernement du parti de la droite nationaliste (Convergència i Unió), commandé par Jordi Pujol, a développé une stratégie d’augmentation graduelle de la marge d’autogouvernement dans le cadre du Statut de 1979 jusqu’à ce que les possibilités d’amélioration (lesquelles ont été obtenues en échange de son soutien au Parlement Espagnol aux Gouvernements des principaux partis espagnols, que ce soit PSOE ou PP) aient été finalement épuisées au début des années 2000. Pendant cette période, la possibilité de l’indépendance n’a été envisagée que par une très petite partie de la population et le Gouvernement Catalan a été le premier acteur intéressé à trouver un point d’accord avec l’Etat Espagnol.

En 2003 le Peuple Catalan a considéré qu’il fallait rédiger un nouvel Statut d’Autonomie pour augmenter ses compétences et en 2006 il a été voté. Le parti de la droite espagnole (Parti Populaire) n’y a pas été d’accord et il a porté plainte contre le nouveau cadre d’autonomie catalane au Tribunal Constitutionnel, qui à son tour a déclaré plusieurs de ses articles comme inconstitutionnels en 2010. Cet événement a marqué un point de non-retour puisque le Peuple Catalan a compris que ses souhaits politiques ne pouvaient pas être accomplis dans le cadre de l’Etat Espagnol. A partir de ce moment-là se sont des nombreuses mobilisations citoyennes se sont déclenchées : une manifestation massive cette même année pour refuser la sentence du Tribunal Constitutionnel, l’organisation des référendums populaires sur l’indépendance, la composition de l’Assemblée Nationale Catalane (organisation regroupant plus de 30.000 personnes et plusieurs organisations politiques non-partisanes), la grande manifestation du 11 septembre 2012 (plus d’un million de personnes à Barcelone) et la chaîne humaine du 11 septembre 2013 (plus de 400 km traversant toute la Catalogne). Ce mouvement populaire a forcé les partis politiques à prendre parti prendre une position favorable à l’indépendance, à laquelle ils étaient majoritairement très réticents.

Bref, il s’agit d’un mouvement populaire qui considère que l’autogouvernement demandé par la Catalogne ne peut pas être atteint dans le cadre de l’Espagne. Même si la plupart de la population souhaitait une réorganisation fédérale de l’Espagne, celle-ci n’est plus considérée comme une option possible et maintenant nous disposons d’une large majorité pour l’indépendance. En plus, c’est la mobilisation populaire et non celles des partis politiques le facteur qui a rendu possible ce nouveau scénario.

Pourquoi devenir un Etat indépendant de taille moyenne dans une Union Européenne qui construit un grand ensemble étatique face aux géants chinois et Etats-Unis?

L’Union Européenne est avant tout, et nous le regrettons, une organisation interétatique, ce qui implique que pour avoir une voix directe dans le processus politique européen il faut être un Etat. Ceci a des conséquences très négatives sur l’Europe puisque les nations sans Etat n’ont pas la possibilité d’exprimer leur point de vue auprès des institutions européennes, excluant une partie importante de la population du processus de prise de décisions. Néanmoins la structure de gouvernance de l’UE est insuffisamment démocratique donc même plusieurs nations avec Etat ne disposent non plus d’une participation en égalité d’opportunités dans le processus politique européen. Dans ce contexte difficile la voie la plus rapide pour avoir une voie directe auprès de l’UE c’est devenir un Etat, bien que nous devions être conscients des possibilités limitées qui nous sont offertes et du besoin d’une pleine démocratisation des institutions européennes.

La création de nouveaux Etats dans les frontières de l’UE ne doit pas poser problème à priori parce que même dans les Etats fédéraux on peut trouver des exemples de sécession interne : c’est le cas du Jura en Suisse, qui se sépara du Canton de Berne en 1979 pour que le peuple jurassien pût être directement représenté au sein des institutions fédérales. A cet égard, personne n’aurait osé dire que la proclamation du Canton du Jura représentait une menace pour la Confédération Suisse.

Quelles sont les limites d’une autonomie pour l’émancipation d’un peuple pour aller vers une souveraineté totale?

Les limites des gouvernements autonomes pour les nations sans Etat sont très différentes dans chaque cas puisque elles doivent être identifiées par rapport aux caractéristiques politiques de l’Etat dans lequel chaque nation est insérée. Dans le cas de la Catalogne il y avait deux limites fondamentales dès le début : la première, un manque d’autonomie financière qui nous a emmenés vers un partage des impôts très déséquilibré. Il faut rappeler qu’à ce moment la Catalogne paie 16 milliards d’euros qui sont investis par l’Etat Espagnol dans d’autres régions, ce qui génère un sentiment d’injustice totale.

La deuxième limite était une nulle volonté de l’Espagne pour reconnaître l’identité nationale de la Catalogne et agir en conséquence, c’est-à-dire, lui attribuer une capacité d’autogouvernement supérieure par rapport à d’autres Communautés Autonomes. Il faut rappeler qu’au début du processus de création des gouvernements autonomiques, qui n’étaient pensés que pour la Catalogne, le Pays Basque et la Galice, toutes les régions de l’Espagne n’étant pas de nations exigèrent devenir des Communautés Autonomes dans le but de nier aux nations sans Etat une capacité d’autogouvernement plus élevée. La culture politique centraliste de l’Espagne, inspiré du jacobinisme français, était un grand empêchement pour la reconnaissance du fait national et ceci a été un facteur clé pour expliquer la montée de l’indépendantisme en Catalogne.

Quels sont les voies et les moyens que les souverainistes catalans ont-ils utilisés pour convaincre les autonomistes qui veulent rester dans le giron espagnol d’opter pour l’autodétermination ?

Le mouvement indépendantiste a fait un travail de fourmi ces vingt dernières années pour convaincre le peuple catalan. En 1992, après les jeux olympiques de Barcelone, l’indépendantisme était un mouvement politique marginal et durement réprimé, placé uniquement aux milieux de la Gauche Indépendantiste radicale. En plus, ceux qui osaient mentionner l’indépendance étaient qualifiés comme fous. Néanmoins, malgré toutes ces adversités, le mouvement a réussi à quitter la marginalité au cours des années 1990 en développant un puissant réseau de centre sociaux partout en Catalogne qui ont socialisé une partie importante de la jeunesse dans la culture indépendantiste. D’autre côté, alors que le mot indépendance se normalisait, le parti Esquerra Republicana de Catalunya (ERC, actuelle deuxième force au Parlement Catalan) s’est déclaré pour l’indépendance.

En 2003 ERC obtient un résultat historique en décrochant 23 députés aux élections législatives catalanes tout en devenant la troisième force et faisant son entrée au Gouvernement. Cet événement, choquant aussi pour la Catalogne que pour l’Espagne, a placé l’indépendantisme comme une possibilité politique réelle, bien que toujours lointaine du fait que le soutien à l’indépendance restait toujours minoritaire. En fait, il semblait que même ERC n’avait pas une volonté immédiate de mettre en œuvre son projet.

Dans ce nouveau cadre, un groupe d’activistes a décidé de faire un pas en avant. Ils ont conclu que l’indépendance n’arriverait à être une possibilité réelle que par une mobilisation politique populaire et massive qui force les partis politiques catalans à se positionner pour l’indépendance. En outre, ils envisageaient deux éléments fondamentaux pour définir leur stratégie politique : tout d’abord, il s’agissait de développer un discours politique remarquant que le droit à l’autodétermination est avant tout un droit à la décision démocratique, ce qui a été synthétisé dans la devise Droit à Décider , laquelle a été à son tour le nom de la plateforme qu’ils ont créé en 2005. Par rapport à l’action politique et à son encadrement, il ne faut pas oublier qu’à ce moment-là la réforme du Statut d’Autonomie de la Catalogne était en train d’être discutée. Tous les indépendantistes savaient que ce processus n’allait pas atteindre ses objectifs puisque l’Espagne n’allait pas accepter une augmentation de l’autonomie de la Catalogne à cause de son centralisme. Il s’agissait donc d’emmener des actions soulignant l’inutilité de ce processus et l’indépendance comme la seule sortie possible et puis il ne fallait qu’attendre à ce que le la réforme de le Statut d’Autonomie échoue pour que le cadre d’interprétation bâti par le mouvement devienne hégémonique.

Après l’échec définitif de la réforme en 2010, les mobilisations populaires ont parcouru la Catalogne. Cette même année ainsi qu’en 2011 plusieurs votations populaires sur l’indépendance ont eu lieu, ce qui a impliqué une organisation sans précédentes de la société civile et a désorienté les partis politiques. Le réseau social généré par ce mouvement social a évolué jusqu’à la création de l’Assemblée Nationale Catalane, une organisation civile visant à convaincre ceux qui n’étaient pas pour l’indépendance ainsi qu’à forcer les partis politiques à démarrer un processus vers l’indépendance. Le mouvement populaire autour de cette Assemblée a été énorme : en 2012, plus d’un million de personnes ont parcouru les rues de Barcelone exigeant l’indépendance et en 2013 une chaîne humaine de plus de 400 km a été formée dans le même but.

Aujourd’hui la majorité du peuple est pour l’indépendance selon tous les sondages, mails il nous reste encore l’étape la plus importante : sa mise en œuvre.

L’indépendance de la Catalogne impliquerait-elle un effet politique sur les peuples autochtones qui vivent le déni d’existence dans région de la Méditerranée? Si oui lesquels? Si non pourquoi?

Bien que la distance entre les deux bords de la Méditerranée soit très courte, à mon avis l’écart politique est beaucoup plus long. Les conséquences d’une indépendance de la Catalogne seraient ressenties tout d’abord dans d’autres pays européens, qu’ils soient au bord de la Méditerranée ou pas, parce que l’Europe est, d’un point de vue géopolitique, une région très intégrée où ce qui arrive dans un Etat emmène des conséquences pour les autres. En revanche le nord de l’Afrique n’est pas politiquement si rapporté à l’Europe même si des relations économiques fortes tiennent place, notamment dans le domaine du pétrole et du gaz. Pourtant les univers politiques et culturels des deux régions n’ont rien à voir les uns avec les autres, ce qui empêche fortement les influences mutuelles des processus politiques des deux rivages. Toutefois on ne peut pas affirmer que les conséquences de l’indépendance catalane pour un pays comme la Kabylie seraient nulles.

La Catalogne souveraine projette-elle des projets de partenariats avec le peuple kabyle? Dans ce cas quelles sont les axes prioritaires?

Comme je vous ai dit ci-dessus il y a une distance énorme entre les deux rivages de la Méditerranée : de notre part (pas uniquement la Catalogne mais tous les pays européens), le principal souci c’est la méconnaissance des réalités politiques et culturelles du Nord de l’Afrique, ce qui implique que la plupart de la population de la Catalogne n’a jamais entendu parler de la Kabylie. En fait, plusieurs gens ne connaissent même l’existence des peuples amazighs et pensent que la seule culture présente dans un pays comme l’Algérie c’est l’arabe. A cet égard, il est difficile de croire que le gouvernement d’un futur Etat souverain catalan entamera des projets de coopération avec le peuple Kabyle du fait qu’il n’y aura pas une demande populaire pour agir dans ce sens. Pour ce faire, il faut donner une priorité urgente à la tâche de divulgation de la réalité politico-culturelle du Nord de l’Afrique, et plus concrètement de l’Etat kabyle, pour que le peuple catalan prenne conscience de l’existence de nations sans Etat dans cette région. Malgré ce contexte défavorable, il faut dire qu’une partie de la société civile catalane (le CIEMEN, par exemple) est déjà intéressée à la situation du peuple Kabyle et souhaite démarrer des projets de coopération avec le peuple Kabyle, qui devront avoir comme première objectif de faire connaître la situation de la Kabylie au peuple catalan.

Entretien réalisé par Hocine Azem

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