PARIS (SIWEL) — L’opération Serval lancée dans l’urgence, avec des capacités limitées et le soutien mesuré, diplomatique plutôt que financier et militaire, de l’Europe, des États-Unis et de l’ONU, avait plusieurs objectifs : stopper l’offensive menaçante des djihadistes sur Bamako, replâtrer ensuite l’État malien en pleine décomposition depuis le putsch du 22 mars 2012 pour légitimer l’intervention française et engager l’armée malienne reconstituée partiellement pour réunifier le Mali, avec l’aide de la France. La reconquête foudroyante menée jusqu’à Kidal et l’ambiance de libération régnant à Bamako, Gao et Tombouctou ont fait planer François Hollande qui, le 2 février, a reconnu avoir vécu « le jour le plus important de sa vie politique ». Puis dans ce climat festif, il a déclaré : « La France restera le temps qu’il faudra ».

 

Par : Jacques Simon
L’opération devait encore se poursuivre pour détruire les groupes islamistes regroupés dans l’immensité du Nord, surtout dans l’Adrar des Ifoghas, un massif granitique de 250 000 kilomètres carrés, berceau de la civilisation touarègue. Opération difficile à réaliser sans l’aide effective des pays africains dont les unités tchadiennes et nigériennes étaient les seules forces combattantes de la Mission internationale du soutien au Mali (Misma), soit 5 700 soldats.

Le crépuscule de la Françafrique
Plusieurs facteurs ont changé le cours de l’opération : l’incapacité du président malien par intérim Dioncouda à former un pouvoir stable à Bamako, le discrédit des unités maliennes incapables de sécuriser Gao et de respecter la population « blanche » (Touaregs, Arabes) et l’âpreté des combats dans le Nord contre les djihadistes de l’Aqmi, du Mujao et d’Ansar Edine. Pour atteindre ses objectifs, François Hollande a accepté la collaboration militaire du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), bien installé à Kidal, où il garantissait la sécurité des Touaregs, après avoir chassé les djihadistes et les narcotrafiquants. Paris reconnaissait de facto son autonomie très large sans lui demander l’abandon de son programme indépendantiste. Les unités maliennes qui s’étaient livrées à des exactions contre les Touaregs1 ne furent pas engagées dans la guerre du Nord et remplacées à Gao par le colonel touareg Ag Gamou, défenseur de l’État fantôme malien, en attendant de s’imposer pour diriger demain l’Azawad réunifié et souverain. Paris désavoua encore l’Express de Bamako qui avait publié une longue liste de membres du MNLA à abattre. Avec la reconnaissance du MNLA comme une organisation opposée aux islamistes, l’unité du Mali n’a plus cours, et par voie de conséquence la légitimité des États artificiels issus de la balkanisation de l’AOF et AEF pendant la décolonisation des années 1960. Elle interroge aussi désormais sur la légitimité de l’occupation de territoires sahariens par le Maroc et l’Algérie. Dans ce contexte, les forces africaines (Tchad, Niger, Azawad) ne recherchent pas l’unité du Mali car elles mènent, en combattant les djihadistes, une guerre de libération des peuples du Sahel qui s’élargira inévitablement à tout le Sahara. Ce qui se déroule sous nos yeux, c’est que l’opération Serval menée sans aucune aide des États d’ex-AOF et AEF, marque une étape, sans doute décisive, dans la liquidation de la Françafrique puis de la décolonisation de « l’Afrique blanche » (E. F. Gautier).

Aujourd’hui le Sahel, demain tout le Sahara
Depuis 1963, le Maroc et l’Algérie se disputent les territoires sahariens abandonnés par le Portugal l’Espagne et la France, sans consultation des populations colonisées et de leur droit à choisir leur destin : l’État indépendant, l’intégration dans le Maroc ou l’Algérie ou à la construction de l’État fédéral du Sahel.

1. Le Sahara marocain
Au XIe siècle, les chefs de la confédération berbère des Almoravides franchissent le Haut-Atlas, s’emparent des villes du Maroc (Sijilmassa, Fès) et fondent un empire transcontinental, à cheval sur le détroit de Gibraltar, des fleuves Niger et Sénégal au sud, jusqu’au Tage au Nord. Le « Grand Maroc », où ils fondent leur capitale à Marrakech (1070) englobe une partie de l’Algérie, le Sahara occidental et la Mauritanie actuelle jusqu’aux confins de l’Afrique noire. Après la perte de l’Espagne, les Almohades, les Mérinides, les Saadiens et les Alaouites maintiennent avec le Sud, des liens économiques, politiques et religieux. C’est ainsi que la confrérie des Qadrya puis celle des Tijaniya, installée à Fès, se développe au Sahara et au Soudan. Au XVe siècle, les Portugais occupent les Canaries et fondent des comptoirs sur la côte Atlantique et les Espagnols s’installent à Ifni et au Sahara occidental (Rio de Oro), mais jusqu’en 1880, Moulay Hassan rappelle sa suzeraineté sur la ville de Tombouctou. Protectorat de la France, le Maroc acquiert son indépendance en 1956 et l’Istiqlal réclame aussitôt le retour au « Grand Maroc » du Sahara espagnol, de la Mauritanie et du sud-ouest de l’Algérie. Cette revendication prend forme lorsqu’en novembre 1975, Hassan II lance la Marche Verte et occupe le Sahara espagnol, mais pas la Mauritanie devenue un État indépendant. Il existe une importante documentation2 qui atteste des liens historiques du Maroc avec le Sahara de l’Ouest, mais il reste que l’intégration du Sahara espagnol au Maroc sans consultation de ses habitants est un fait colonial.

2. Le Sahara algérien
La Régence d’Alger n’a jamais administré le Sahara.3 La pénétration saharienne par la France, si longtemps interrompue, marche à pas de géant dans les premières années du XXe siècle. La période de 1900 à 1912 a été à cet égard décisive. C’est à ce moment que l’empire français d’Afrique s’est véritablement constitué, que ses divers tronçons se sont soudés que la question saharienne et le problème marocain ont été réglés. La mise en valeur du Sahara s’effectue depuis les années 1950 mais c’est pendant la guerre d’Algérie que Paris fonde en janvier 1957 l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS), un organisme essentiellement conçu pour aménager le désert dans les domaines les plus divers. Elle sera coiffée en juin 1957, par le ministère du Sahara, chargé d’administrer les départements de la Saoura et des Oasis, englobant tout le Sahel. Le Sahara connaîtra, de 1958 à 1962, un développement considérable dans plusieurs secteurs : le pétrole et le gaz, les transports et la commercialisation des produits, l’hydraulique agricole, l’électrification des oasis, la création d’un réseau routier complétant l’aménagement des pistes, l’équipement et l’habitat urbain, une quinzaine d’aérodromes et un important réseau de télécommunication. En 1962, le GPRA qui acquiert tout le Sahara devient l’héritier du colonisateur français à un triple titre : le maintien du cadre territorial, de l’aménagement et des structures établies par le Ministère français du Sahara. Les populations n’ayant jamais été consultées, il s’agit là d’un fait colonial qui conforte de surcroît les régimes corrompus des États artificiels du Sahel. Alger poursuit cette même politique coloniale en soutenant le Polisario qui veut installer la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) qu’il a proclamée dans l’ex Rio de Oro, territoire découpé par l’Espagne dans le Sahel. Quel que soit ses discours, proclamations et démarches à l’ONU et dans les instances internationales, le Polisario n’est pas un mouvement indépendantiste,5 il inscrit son combat en respectant l’ordre colonial établi par l’Espagne.

La France dégage du Mali

L’offensive lancée dans le Nord-Est du massif des Ifoghas, par 800 Tchadiens et 1200 Français a durement frappé les djihadistes de l’Aqmi, du Mujao et d’Ansar Dine, sans empêcher leur repli dans le Nord et assurer la sécurité d’un territoire trois fois grand comme la France avec 2 000 ou 4 000 hommes, même avec le soutien des drones américains et de l’aviation française. Après deux mois d’opérations militaires qui ont permis de récupérer « près de 70 % du territoire malien », le ministre de la Défense, Le Drian , rendant visite aux troupes françaises a déclaré le 10 mars : « Il faudra aller jusqu’à 100 %, mais il faut aussi penser au futur ». À Bamako où « la carence du pouvoir est très gênante », le ministre s’active pour reconstruire avec l’aide de l’Europe, une armée malienne et transformer la Misma en opération de paix des Nations Unies. Le dégagement de l’armée française du Mali, à partir du mois d’avril, va s’effectuer sans que les objectifs affichés aient trouvé une solution. En effet, malgré ses revers, Aqmi garde sa force de nuisance dans le Mali et le Sahel et la guerre a coupé durablement le Sud du Nord où la force politique et militaire qui émerge, après l’éradication des djihadistes, reste le MNLA installé à Kidal. À l’annonce du départ des troupes françaises, Bamako a consenti à négocier avec le MNLA; à condition que les militaires de la force touareg soient désarmés avant toute discussion. Cette demande a été rejetée et Paris, qui marche sur des oeufs sur la question touarègue et les prochaines élections et ne veut pas insulter l’avenir en soutenant Bamako. « Nous ne sommes ni ami ni ennemi du MNLA » a déclaré Le Drian. Position ambiguë, mais qui admet en creux que le MNLA qui a soutenu l’armée française dans le Nord, est « une rébellion armée touareg laïque et démocratique », l’interlocuteur valable pour diriger demain l’État indépendant de l’Azawad. La décolonisation du Sahel qui a commencé se poursuivra inévitablement avec celle de tout le Sahara. Pour le MNLA qui dirige la guerre de libération des Touaregs du Sahel et demain de tout le Sahara, le soutien des Amazighs, des démocrates et tous les anticolonialistes, est indispensable.

Jacques Simon, Historien
Mars 2013

Notes
1. « Le MNLA dénonce les exactions maliennes et les appels au meurtre à Menaka ». Le Matin, DZ, 9/02/ 2013.
2. Rezette (R). « Le Sahara occidental et les frontières marocaines », Nouvelles éditions latines, 1975 ; Cornevin (R et M). « Histoire de l’Afrique, des origines à la Deuxième Guerre mondiale », Payot, 1964. 3. Mouloud Gaïd . « L’Algérie sous les Turcs », Mimouni, 1991 ; Kaddache (M). « L’Algérie durant la période ottomane », OPU, 2003.
4. Treyer (C). « Sahara, 1956-1962 ». Les Belles Lettres, 1966.
5. Hodges (T). « Sahara occidental. Origines et enjeux d’une guerre du désert », L’Harmattan, 1987.

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