AVRIL DES CONVOITISES, DES MANIGANCES ET DES INTERFÉRENCES

KABYLIE (SIWEL) — À l’approche du 20 avril, halte traditionnelle en Kabylie pour se rappeler les printemps de 1980, de 1981 et de 2001, nous avons déjà eu droit à une flopée de sorties « officielles » visant à en réduire la portée, voire à rappeler la détermination de l’État algérien de maintenir le même cap idéologique esquissé il y a si longtemps, par Messali Hadj sous l’œil appliqué de Chakib Arslan et d’Azzam Bacha.

Il y a eu la virée du ministre des affaires religieuses à Vgayet, la visite surmédiatisée du ministre algérien de l’intérieur à Tizi Ouzou, une tentative d’empêchement d’une marche des femmes kabyles en robes kabyles à Alger, il y a également le militant égorgé à Adekar, la préannonce-appât d’une probable officialisation (au 2e degré) de tamazight dans la nouvelle constitution qui consacrera surtout, la mainmise totale d’une caste sur le pouvoir et sur la rente pétrolière ainsi que l’option arabo-islamiste, plus que jamais consolidée au cœur du socle du système en place, le lancement de « Constantine, capitale de la culture arabe » et ce, pour mieux rappeler à ceux qui feignent de l’oublier que l’éventuelle officialisation de tamazight ne sera que de la poudre aux yeux, une sorte, toute proportion gardée, de traité de Tilsitt offert par Napoléon 1er au tsar Alexandre 1er et qui se révélera n’être qu’une trêve pour préparer la campagne de Russie dont l’issue fut des plus désastreuse pour l’Empire(1) ; une tragédie militaire et humain relatée dans le célèbre roman « Guerre et paix » de Léon Tolstoï. En effet, que cette officialisation se confirme ou pas, les langues berbères et à travers elles, leurs peuples, subiront encore et toujours des bornes et des agressions aux relents colonialistes, le tout enrobé dans le traditionnel silence de cathédrale des apôtres de cette officialisation qui est sporadiquement déterrée, en Kabylie, entre deux mandats, durant lesquels la langue arabe est systématiquement adoptée. Le régime que cette opposition faite maison prétend combattre tout en acceptant de cautionner les limites institutionnelles imposées à l’action politique et les rémunérations parlementaires, pour le moins indécentes, que le népotisme en place lui rétrocède généreusement, s’en sert volontiers pour apparaître dans sa toute-puissance. La velléité de torpiller l’option de la « rupture intégrale » qui fait son chemin en Kabylie, est vraisemblablement le but suprême inavoué de tout ce remue-ménage autour de ce rendez-vous de la Kabylie avec ses printemps.


Pour clore cette liste non exhaustive des événements qui, chaque année, viennent se greffer à ce mois qui fait peur autant qu’il fait fantasmer, l’annonce de la venue à la maison de la culture de Tizi Ouzou de celle qui a accusé le MAK d’avoir assassiné Hervé Gourdel(2) sans que la justice algérienne ne s’en saisisse et qui, comme tous les autres cerbères du système, évoque tamazight en fonction des conjonctures et de l’auditoire, ne pourrait être versée dans le registre des faits anodins, en politique rien ni aucun geste n’étant fortuit, encore moins innocent. Il en est de même pour le discours à la Castro, présenté comme une contribution d’Ali Yehia Abdenour, parue dans un quotidien(3), où on a eu droit aux mêmes approximations, aux professions de foi tant ressassées et autres anachronismes qui ont toujours animé l’auteur, surfant même sur la terminologie islamiste, en reprenant ses thématiques ; exigeant dans la foulée, la criminalisation de l’islamophobie et l’interdiction du blasphème qui sont des revendications chères aux mouvements terroristes et à l’Internationale islamiste, allant jusqu’à justifier l’attentat terroriste qui a ciblé Charlie Hebdo le 7 janvier dernier… Et puis, il y a la traditionnelle interview(4) fleuve de Said Sadi qui revient quasi chaque année à la même période, avec son indécrottable égotisme nationalitaire. Au-delà des épopées entières dans la genèse du printemps 80 qui y ont été passées sous silence, à l’image de l’œuvre colossale de l’Académie berbère, de l’immense travail de conscientisation réalisé par des militants, des artistes et des écrivains durant les années 60 et 70, des « poseurs de bombes » présentés implicitement, comme des impulsifs pour s’en distinguer d’une manière dédaigneuse tout en jouant, toute au long de l’entretien, sur une modestie simulée, ce qui est une marque de fabrique du personnage, il y a aussi la trame de fond du propos qui se résume à ceci: « Je suis l’architecte du printemps berbère de 1980 et, par voie de conséquence, le pionnier des luttes démocratiques qui sont venues après. », se félicitant, au passage, des panneaux et autres enseignes écrites en trois langues ; une maigre moisson due essentiellement aux populations qui l’ont imposée, ce qui n’est pas toujours le cas et quand ça l’est, Saïd Sadi oublie peut-être que la suprématie de la langue arabe y est systématique et qu’en dehors de ces plaques folkloriques quasi limitées au pays kabyle, l’arabisation broie plus que jamais tout sur son chemin. . _ Les convoitises, les manigances et les interférences propres à ce mois et à sa symbolique mises à part, il y a surtout la misère qui foudroie la Kabylie de plein fouet, la mal-vie qui jette dans la méditerranée une jeunesse privée d’horizons et de rêves, un patrimoine forestier qu’on incendie régulièrement, un environnement englouti, chaque jour davantage, par une pollution multidimensionnelle qu’aucune volonté ne semble vouloir freiner à défaut de l’arrêter, un chômage endémique, une insécurité croissante, un islamisme galopant, des harcèlements de rue qui se banalisent, des promesses et des mensonges… À l’ombre d’une vaine officialisation d’une langue fantasmatique, des œuvres de Matoub Lounès (et d’autres) continuent d’être proscrites sur Radio Tizi Ouzou, Radio Soummam, la chaîne 2 de la radio algérienne et sur la TV4 (une chaîne très investie, entre autres, dans l’arabisation des esprits et de la transcription du kabyle), pendant que Zedek Mouloud est censuré par les mêmes médias suite à son dernier album. Du fait d’un laxisme évident du pouvoir en place, l’islamisme rampant se propage à sa guise en Kabylie où il est également soutenu par des financements orientaux, voire terroristes, et toléré par une opposition de gigolos qui flirtent depuis quelques années déjà avec les figures du fanatisme religieux et du terrorisme. Les élus locaux qui, à ce jour, n’ont jamais osé baptiser une rue, une place, une école, un édifice public au nom de Matoub Lounès, de Slimane Azem, de Bessaoud Mohd Arav, de Marie Louise Taos Amrouche, de Benaï Ouali, de Katia Bengana, de Dihya, d’Aksil… ne délivrent pas moins et avec une rare promptitude, les autorisations nécessaires pour la construction de nouvelles mosquées réclamées par des militants du salafisme ou de Hamas (MSP), l’actuel allié du RCD à la CNTLD. Il y a, bien sûr, tous ces partisans de « tamazight langue nationale et officielle » qui seront bien servis par la nouvelle constitution, qui, comble de l’absurde, se félicitent que la cause identitaire soit enfin approuvée par tous les Algériens, sans toute fois oser poser un seul orteil en dehors de la Kabylie pour célébrer cet avril de toutes les espérances et de toutes les déceptions. Pourquoi, tant qu’on y est, n’appelleraient-ils pas à une marche et à des actions dans les rues de l’antique Cirta qui, à partir de ce 16 avril et durant une année entière, sera faite cité panarabe, sous la bannière de « Constantine, capitale de la culture arabe » ?

Enfin, il y a une certaine Kabylie reviviscente, boycottée par la doxa médiatique et politique, car coupable d’aspirer à s’émanciper des recettes obsolètes, de vouloir abandonner les logiciels périmés, de tourner définitivement le dos aux demi-mesures, de rompre avec le folklore culturaliste et d’avoir eu l’audace d’emprunter une voie inédite, celle qui mène à la prise en main de son propre destin pour ne plus jamais dépendre d’autrui, pour ne plus quémander des portions de droits, pour mettre un terme au rituel de la revendication au profit de la culture de la réalisation de soi. Cette Kabylie est, peu ou proue, la source de tous ces symptômes patents d’une panique généralisée, de cette effervescence récursive et de toutes ces mises en scène avrilistes. Cette voie conditionnera désormais le pouls de la scène politique dans sa globalité et cela se confirmera au fil des événements et des années à venir. Avril n’est pas que mémoriel pour être décomposé comme l’érosion gommerait les écritures picturales trouvées sur d’anciens tessons de poterie, il est aussi un prolongement d’une aspiration profonde justifiée par l’histoire, entérinée par la pensée et quasi détachée de quelque ressentiment, désillusion ou trauma que ce soit.


Allas DI TLELLI
14/04/2015


Notes :
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(1) Hitler et Staline rééditeront quasi le même scénario avec le pacte germano-soviétique du 23 août 1939 signé par Molotov et Ribbentrop, du nom des ministres des Affaires étrangères de l’Union soviétique et de l’Allemagne nazie. À cette époque les deux dictateurs décident de respecter une neutralité mutuelle, en faveur de leurs expansions respectives. Près de deux ans plus tard et pour assouvir ses appétits de grandeurs, Hitler viole le pacte et lance l’opération Barbarossa avec les conséquences que l’on sait.
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(2) Hervel Gourdel, randonneur français, amoureux de la Kabylie, enlevé officiellement par « Jund al-Khilafa », un groupe islamiste lié aux djihadistes de l’organisation État islamique. Le groupe terroriste avait menacé de l’exécuter si la France ne cessait pas ses frappes contre Daech. Le 24 septembre 2014, l’otage est décapité. D’aucuns doutent de cette version et pointent du doigt le pouvoir algérien d’en être le commanditaire…
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(3) El Watan du13 et du 14 avril 2015.
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(4) Le Soir d’Algérie du 14 avril 2015.

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