ALGER (SIWEL) — La mort pour des milliers d’algérien est devenu un objectif ; il faut donc savoir l’approcher, se familiariser avec elle, l’apprivoiser, l’aimer, savoir partir à sa rencontre dans l’exaltation du sentiment religieux pour mériter son indulgence. Cette mort, que l’on ne peut adopter que par la violence, est devenue étrangement un aboutissement, une porte qui s’ouvre sur des jardins enchantés qui s’étendent à perte de vue, des palais que l’architecture des mortels ne peut concevoir dans lesquels abondent de jeunes vierges que la beauté en ce monde ne peut disposer. L’objectif recherché par l’algérien d’aujourd’hui, à l’instar des « frères » égyptien ou syriens, est immatériel, il quitte tout raisonnement humain et devient de plus en plus bouillant.

 

Le 5 juillet l’Algérie accédait à l’indépendance et tous les espoirs étaient permis pour neuf millions d’algériens. Aujourd’hui, 53 ans après, où en sont-ils ? Des milliers d’algériens tentent chaque jour de fuir leur pays pour chercher clémence sur le sol de cette même France que leurs aînés ont chassée au prix d’un million et demi de martyrs. Pourquoi donc les Algériens qui fuient leur pays choisissent-ils en masse la France ? On ne peut même pas se demander qui émigre car tout algérien y songe, quel que soit son âge et quel que soit sa situation sociale, peut importe la langue qu’il maîtrise et qu’importe ses penchants idéologiques, qu’il soit démocrate, islamiste, baasiste ou marxiste. Sous les feux des grandes cités de France, des algériens y vivotent clandestinement, excluant toute idée de retour.

En France, fourmillent des « sans-papiers » qui vivent dans une promiscuité indescriptible et ils sont des milliers. À Paris, à Lyon ou à Marseille, ils évoluent et se modernisent dans une société qui les rapproche du cadre vivant, humain et plus doux que celui qu’ils ont fui ; il n’est donc pas question qu’ils s’en séparent. Offusqués par la précarité de leur existence dans l’hexagone et las de traîner sans les papiers nécessaires beaucoup d’entre eux cherchent l’évasion du réel par l’usage du faux et les mariages blancs. D’anciens maquisards, c’est à dire ceux qui ont combattu les armes à la main l’occupation française, se démêlent pour aider leurs enfants et les enfants de leurs enfants dans leur course à la citoyenneté française. L’Algérie pour laquelle ils ont combattu est incompatible avec la vie qu’ils souhaitent à leurs enfants ! Est-ce parce qu’ils ont foi en la réputation que la France a su conserver dans le monde d’être un pays de droits de l’homme ouvert à toutes les nationalités ? Ou alors, ils ont juste perdu l’illusion d’un Etat algérien ! La révolution algérienne a donc échoué. Où plus précisément, ils l’ont renversée.

Tous les chefs d’Etats que l’Algérie a connus ont reçu les attributs du pouvoir au ministère de la défense dans une assemblée de Képis, l’intègre Boudiaf compris. Dépêché du Maroc, son sol d’exile, il fût assassiné en direct devant les caméras de la télévision algérienne. Un acte qui devrait inspirer Francisco Ford Coppola. L’ingérence agressive de l’armée dans la vie politique algérienne est sanctionnée par des sous-entendus qui s’efforcent de la rendre responsable de l’assassinat de Boudiaf et des massacres qui ont suivis. L’Etat algérien a toujours berné son peuple. Il a imposé le mensonge et masqué la réalité. 53 ans après et l’Etat algérien semble anesthésié, plus mort que vif.

La télévision algérienne s’acharne à accréditer l’image de l’État algérien et de ses dirigeants et elle ne trouve pas mieux pour parer la misère de sa jeunesse, que d’user d’une autre misère : les prêches religieux qui prônent l’extermination de l’impur comme unique gage du salut, unique option pour éviter les supplices et les tourments de l’enfer. Désormais, dans les consciences la mort quand elle s’empare des âmes c’est pour les expédier peiner des milliards et des milliards d’années lumières dans les plus inimaginables tortures. La mort pour des milliers d’algérien est devenu un objectif ; il faut donc savoir l’approcher, se familiariser avec elle, l’apprivoiser, l’aimer, savoir partir à sa rencontre dans l’exaltation du sentiment religieux pour mériter son indulgence. Cette mort, que l’on ne peut adopter que par la violence, est devenue étrangement un aboutissement, une porte qui s’ouvre sur des jardins enchantés qui s’étendent à perte de vue, des palais que l’architecture des mortels ne peut concevoir dans lesquels abondent de jeunes vierges que la beauté en ce monde ne peut disposer. L’objectif recherché par l’algérien d’aujourd’hui, à l’instar des « frères » égyptien ou syriens, est immatériel, il quitte tout raisonnement humain et devient de plus en plus bouillant. Une nouvelle construction mentale croustille dans les rues d’Alger, d’Oran et de Constantine, une construction dans laquelle la vie humaine n’a plus aucune espèce d’importance : l’espoir, la confiance, l’assurance et les certitudes n’ont désormais de sens que dans la mort. Voilà comment la haine a su trouver sa place dans les cités algérienne où pendant longtemps les explosions de plastique rythmaient la vie quotidienne. Le plus douloureux, les kidnappings, les attaques à mains armées (souvent œuvre de la police) et les explosions n’étonnent plus.

Que reste-t-il à un algérien de vingt ans qui refuse à la fois la misère et l’arabo-islamisme ? Que reste t-il a un algérien qui ne voit nulle sécurité dans le présent et aucune assurance dans l’avenir ? Deux options : La drogue ou la fuite.

Djaffar Benmesbah

SIWEL 061213 JUIL 15

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