KABYLIE (SIWEL) — Dans un compte-rendu que nous a fait parvenir Boussad Becha, responsable à l’organique du MAK, il revient sur les déboires des militants du MAK, et sur la sienne en l’occurrence, que nous livrons ci-dessous :

 

En arrivant à l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, des militants m’avaient déjà fait signe de la présence des policiers algériens en civil et des patrouilles qui circulaient un peu partout à bord de véhicules banalisés. Le premier bus arrive et on le libère vite pour éviter une arrestation collective. Pour le premier, ça va, tout se passe bien. Une minute plus tard un autre bus arrivant d’At Dwala est arrêté par des motards au carrefour du 20 avril, au niveau de la Tour. Les motards confisquent les papiers du chauffeur et arrêtent deux militants des At-Dwala, Remdan Simoud et Yanis Hadim au motif de non présentation de pièces d’identité algériennes. Ils sont embarqués manu militari…

C’est alors qu’un militant de Boumerdès, voyant de loin le manège, décide d’éviter les fourgons et de partir avec d’autres camarades à At Zellal, un sympathisant les attend un peu plus loin avec son véhicule dans le but d’éviter les arrestations. Ils arrivent à passer, la police ne connait pas le sympathisant.

Juste à côté de nous, des policiers du renseignement général en civil prennent note de toutes nos conversations. Dès qu’on se déplace, ils nous suivent comme nos ombres tandis que les voitures bondées de policiers en civil nous observent de loin.

Voilà qu’un autre groupe de militants d’At-Dwala arrive : Ravah Bouniffa, Noreddine Cheumeur, Fali Smail ainsi qu’un nouveau militant de Tizi-Ouzou, Hamid qui participe pour la première fois à une action du MAK, ils sont arrêtés au carrefour du 20 avril. Ils sont transférés au commissariat devant l’université de Bastos pour les interroger et surtout les empêcher de se rendre au Congres.

Après plusieurs heures d’attente, et sur insistance d’autres militants, ils ne seront relâchés qu’après 15h, comme d’ailleurs la plupart des militants embarqués. Mais les quatre militants refusent de signer les PV et l’un d’eux leur dit clairement qu’il n’a pas confiance en eux. Il leur demande la traduction en kabyle des PV rédigés en arabe. Les policiers enragent mais ils s’exécutent, un policier kabyle leur traduit les PV.

Concernant mon arrestation et celle de mes deux camarades, Juba Medjbour et Kab Mouloud, nous avons été arrêtés à 100 mètre du carrefour du 20 avril, juste devant la pharmacie. Un groupe de policiers arrive à bord de 4×4 flambants neufs et foncent sur nous. Ils nous retirent nos papiers et confisquent nos portables. Ils ont compris que nous donnions l’alerte à chaque arrestation. Après que nous ayons tenté de résister, ils nous embarquent. Ils étaient beaucoup trop nombreux pour leur échapper. Juba leur dit « Nous sommes des militants du MAK !», un des policiers le frappe sur place… Ils nous embarquent manu militari !

En arrivant à la centrale de Tizi-Ouzou, ils nous ont jetés dans une salle d’attente en nous ordonnant de leur donner toutes nos affaires de pôche, ils nous agressent verbalement et nous frappent, en commençant par Juba. Deux policiers arabes me frappent à la tête et au visage et ils m’insultent avec des mots vulgaires (que je ne répèterais pas) et des propos racistes sur "leqbayel", "zwawa", etc…. Ils nous crient dessus en arabe : vous ne savez pas c’est quoi «el wihda al wataniya (l’unité nationale, ndlr), «bilad melyoun wa nesf malyun chahid» (pays d’un million et demi de martyrs, ndlr)… C’est ma sixième arrestation, mais c’est la première fois qu’on m’insulte et qu’on m’agresse physiquement.

Après cela, ils nous séparent et nous répartissent dans trois bureaux, un policier kabyle s’occupe de me faire un examen de situation, mais lui, il ne faisait que son travail. D’autres policiers, encore des kabyles, arrivent et tentent de me faire changer d’avis sur le MAK. Ils me demandent de chercher à faire autre chose que ça et disent qu’ils sont contre l’autonomie ou l’indépendance de la Kabylie… puis voilà que des arabophones arrivent. Ils sont plus agressifs dans leur façon de parler surtout que je refusais de répondre en arabe… « wachnou le mak hadaya ma teqedruc teddiru walu », (c’est quoi ce MAK ?, vous ne pourrez rien faire !) ; et ils poursuivent encore : Vous êtes aveugles ! Votre zaim se moque de vous !… Je réponds qu’on a un président pas un zaim et comme je refuse de parler en arabe, ils s’acharnent de plus en plus contre moi.

Sachant que je suis artisan en ferronnerie, ils essayent de se moquer de moi et de mon métier. Puis, un policier soi-disant chawi, très acharné, arrive et m’observe pendent plus d’un quart d’heure. Ensuite, il commence à me parler en arabe et je réponds encore en kabyle. Il s’acharne encore plus, mais je garde mon calme et observe tous ces policiers qui me parlent, des kabyles, des arabes… Le comble, c’est qu’un kabyle me demande pourquoi je refuse de parler en arabe ? Je lui réponds que je ne reconnais pas cette langue, que pour moi c’est du charabia. Le policier qui se dit soi-disant chawi enrage et me dit qu’il est chawi algérien ! Moi, je lui réponds que je suis kabyle amazighe et que je n’ai rien d’algérien, que je ne reconnais pas l’Algérie parce qu’elle ne me reconnait pas, ni dans ma langue, ni dans mon identité, ni dans mon Histoire… un policier kabyle intervient et me dit que là je suis en train de parler en kabyle comme je veux. Je lui réponds que si le kabyle est reconnu alors pourquoi ce PV est en arabe ?… Chiche faites-le en kabyle ! A ce moment, je prends la carte d’identité coloniale qui était sur le bureau et je leur dis : dites-moi s’il y a quelque chose de kabyle dans ce bout de papier ?…

Après un long et houleux débat, le policier soi-disant chawi me dit « si j’étais un simple civil, pas un policier, je t’aurais mis une balle dans la tête sans aucune hésitation… tu n’es qu’un sale JUIF !!!!». Je réponds que je ne suis pas juif, que je suis kabyle et que je respecte les juifs comme je respecte tous les peuples. Je lui dis ensuite que je ne veux pas être un assimilé arabe. Je ne suis pas arabe et je veux être moi-même chez moi, c’est-à-dire kabyle et amazigh et c’est tout !

Déjà avant ça, ce policier me disait sur un ton méprisant : "toi le soudeur, tu ferais mieux d’aller faire ta vie, tu n’as rien à avoir avec la politique. Si ça ne tenait qu’à moi, je te jetterai à la poubelle !!" Je lui réponds que ça c’est du mépris et de la discrimination raciale. Pour m’embrouiller et me perturber, ils me parlent tous en même temps mais je garde mon sang froid en faisant le vide dans ma tête.

Ensuite, ils font appel à un policier qui serait soi-disant un cousin en raison d’une ressemblance dans les noms de familles, sauf que je n’ai aucun policier dans ma famille. Le soi-disant cousin se présente comme un psychologue et dit qu’il est mon cousin. Je lui réponds qu’il n’a rien à avoir avec moi et qu’il y a juste quelques lettres qui se ressemblent dans nos noms de famille. Il ne cesse de me parler en arabe et je réponds systématiquement en kabyle en lui glissant de temps à autre des phrases en français pour lui dire que je ne suis pas un algérien et que je ne partage rien avec lui. Le soi-disant "cousin" s’énerve et me traite de malade ! Je lui réponds que je vais guérir le jour ou la Kabylie aura sa liberté. Comme j’étais très calme, il s’énerve encore plus et me dit « si je n’étais pas un policier je t’aurais tué d’une balle », ce pseudo-kabyle, exactement comme son collègue pseudo-chawi, passent aux menaces de mort en croyant me faire peur.

Au bout de ce débat absurde, je sentais bien que c’était moi qui avais le dessus. Ils étaient tout au bas de l’échelle et moi au sommet. A bout d’arguments, leur acharnement s’est encore aggravé et c’est là qu’ils ont commencé à me dire que l’arabe est sacré parce que c’est la langue du Coran et du Prophète. Je leur réponds que ce n’est pas mon problème et que ça ne me concerne pas. Ils en déduisent que je ne suis donc pas musulman et me demandent alors qu’elle est ma religion ? Je réponds que ça ne les regardent pas ! ils enragent !

Ensuite, après plusieurs tentatives de me dissuader de militer dans le MAK, ils finissent par abandonner et c’est là qu’un autre policier intervient pour me dire que mon village AGUEMOUN est un village de MARABOUTS et que donc il n’a rien de kabyle ! Je lui dis que nous sommes tous des kabyles dans mon village et nous n’avons pas de problème entre marabouts et non marabouts et que de plus, ils perdent leurs temps parce que le MAK ne fait pas de différence entre KABYLES ET MARABOUTS ! Il me demande si je connais l’histoire des marabouts et comme je lui réponds que ce sont des amazighes avant tout, il me dit alors que c’est FAUX et que ce sont des arabes venus du CHAM !!! Tranquillement, je lui réponds d’aller revoir son histoire par ce qu’il ne connait vraiment rien de l’histoire…

Ensuite le policier kabyle qui m’a questionné et constitué le PV me demande de le signer. Comme d’habitude, je refuse de signer tout document écrit en arabe et refuse même de le lire. Alors, c’est lui-même tout seul qui décide de me le traduire phrase par phrase de l’arabe au kabyle.

A la fin, un peu avant 15h, ils nous emmènent tous à la clinique NABILA DJAHNIN de Medouha, au centre-ville de Tizi-Ouzou et c’est là que j’ai vu deux autres militants, Smail et Hamid, et que j’ai su qu’ils avaient été arrêtés eux aussi. Après avoir établi les certificats médicaux, on est tous retournés au commissariat central pour récupérer nos affaires, nos portables etc., puis on s’est dispersés en se donnant rendez-vous dans un autre endroit pour prendre des taxis et rejoindre le Congrès à At-Zellal.

Propos recueillis par Siwel,

SIWEL 271844 FEV 16

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