227 détenus d’opinion emprisonnés par le régime algérien (Avocat)

ENTRETIEN AVEC MAITRE GHADI AZIZ, AVOCAT BARREAU DE TIZI-OUZOU, MEMBRE DE LA LIGUE ALGÉRIENNE DE DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME (LADDH), AVOCAT DES DÉTENUS D’OPINION.

Quel est le nombre global des détenus d’opinion et politique qui sont arrêtés depuis le 16 Février 2019 Ɂ

Le nombre de personnes ayant fait l’objet d’interpellations et de poursuites judiciaires s’élève, approximativement à plus de 2 000 cas à travers le territoire national depuis le début du Hirak le 22 février 2019.
Présentement, 227 personnes sont détenues au minimum dans 36 wilayas.
Parmi ceux-ci, on dénombre 5 femmes, 3 journalistes, 1 avocat et un coordinateur d’un parti politique.

Beaucoup de détenus du Hirak ont connu la torture, les témoignages sont légions. Qu’en est-il de votre constat Ɂ

Effectivement, si des cas de tortures ont été signales par les citoyens, les parents et par ceux-là même qui les ont subis, très peu de plaintes ont été déposées a ce sujet.

Le cas de Walid Nekkiche, un étudiant de 25 ans qui a passé plus de 15 mois de détention provisoire illustre, à lui seul, l’usage de la torture dans les centres de détention algériens.

En effet, conduit au commissariat de Bab el oued et transféré au centre principal des opérations (CPO), il est questionné puis torturé à trois reprises et a subi des sévices corporels et des abus sexuels.

Nous ne pouvons, non plus passer sous silence le cas de ces quatre jeunes filles, militantes politiques (MDS) et militantes de la société civile (RAJ) arrêtées à Alger et conduites au commissariat de Baraki ou elles ont subi un traitement inhumain et dégradant.

Celles-ci ont été dénudées de force et tripotées dans leurs parties intimes par une policière sans vergogne sous la menace de faire appel à des hommes policiers en cas de refus de s’exécuter.

Par ailleurs, de très nombreux cas d’insultes, d’intimidations et de violences physiques sont rapportés par beaucoup de prévenus dénotant ainsi l’usage courant de ces pratiques illégales et répréhensibles.

A noter que d’autres sévices ont été enregistrés dans la majorité des cas comme les dérives verbales touchant à l’honneur, à la dignité et à la morale.

Ainsi, la répression féroce, les arrestations arbitraires, les poursuites ciblées, les condamnations infamantes, la maltraitance et la torture sont légions à travers tout le territoire national.

Y a-t-il des avocats, des procureurs, des juges… qui ont été radiés ou subi des sanctions… des noms SVP Ɂ

Les arrestations, les sanctions, les intimidations concernent également le monde judiciaire. En effet le juge Marzouk Saad Eddine a fait l’objet d’une mesure disciplinaire en date du 30 Mai 2021 pour soutien au mouvement populaire (Hirak) et ce, après avoir enduré une suspension (sans statut et sans salaire) depuis décembre 2019, soit 20 mois, de l’autre côté des mesures administratives ont été entreprises à l’encontre du procureur de Sidi M’hammed, Belhadi Mohamed, qui osait demander l’abandon des poursuites et l’acquittement pur et simple des prévenus du Hirak, rappelons que la mesure disciplinaire été la mutation au Sud du pays « Guemmar » wilaya d’El Oued.

Nous n’omettrons de signaler les persécutions, les interpellations et les intimidations subies par nombre d’avocats parmi lesquels nous citerons Maitre Mohamed Salah Dabouz, Maitre Noureddine Ahmine, Maitre Mustafa Bouchachi, Maitre Aissa Rahmoune, tous militants de la ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme (LADDH) et Maitre Mohamed Bouzegza défenseur des détenues d’opinion.

Croyez-vous à la conclusion des autorités concernant les feux en Kabylie accusant des kabyles d’être derrière cette catastrophe Ɂ

Cette question est à prendre avec beaucoup de circonspection mais la population ne croit pas un seul instant concernant les feux en Kabylie et l’implication des kabyles dans cette catastrophe dés lors que les déclarations des ministres, walis, hauts fonctionnaires ont admis le caractère volontaire et criminel de ces incendies bien avant l’ouverture de l’enquête officielle.

L’élan de solidarité intérieure (citoyens de toutes les wilayates, avocats, médecins, industriels……) et extérieure (diaspora de France, Canada…) ont donné naissance à une grande peur au pouvoir, d’où la précipitation d’interventions publiques de ces mêmes responsables alors que l’enquête est toujours en cours.

Ceci étant, je ne comprends pas l’attitude de l’Etat dans ces événements tragiques.
La Kabylie brûle, et un sentiment d’abandon a envahi les citoyens qui ont déploré l’absence totale de l’Etat qui, en plus de refuser l’aide internationale, a largement failli autant dans la mobilisation matérielle et humaine que dans la communication.

Qu’en est-il de votre constat concernant le climat de terreur et des vagues d’arrestations qui s’abattent sur la Kabylie Ɂ

Le climat de terreur et les vagues d’arrestations qui s’abattent présentement sur la Kabylie s’apparentent à une vaste opération à plusieurs objectifs.

Le premier est l’arrestation de cadres et militants du mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) déclarée auparavant « organisation terroriste » par le HCS haut conseil de sécurité (algérien, ndlr) qui est pourtant un organe de consultation et non de délibération.

Le deuxième est de faire porter la responsabilité des incendies de Kabylie à cette organisation.
Le troisième est d’instaurer un climat de terreur par l’intimidation et la dissuasion à reprendre la protesta pacifique du Hirak.

Selon les observateurs, ces tentatives de stigmatisation d’une organisation pacifique afin d’en faire un bouc émissaire obéit à des dispositions contenues dans la feuille de route du pouvoir sur le chapitre de la pacification de la Kabylie connue jusque là comme région politisée et frondeuse et berceau de la révolution et des luttes politiques pacifiques.

La peur de l’opposition, de l’étalement de la résistance et de la fièvre de contagion aux autres régions fait que cette Kabylie fait face à des opérations de déstabilisations récurrentes et permanentes.

Quelle lecture faites-vous de l’assassinat du jeune Djamal à Fort National et la suite réservée à son dossier soit par la police, les tribunaux mais surtout de la voix officielle de l’Algérie au sujet de cette affaire Ɂ

Le mercredi 11 Août restera à jamais gravé comme une journée triste pour la Kabylie.
L’assassinat du jeune Djamal Bensmail (Jimmy) est un crime lâche, odieux et abject.
Rien ne peut justifier le meurtre de ce jeune homme ni même d’une quelconque autre personne, quels que soient les faits reprochés.

Pire que cela, il a été battu, lynché, assassiné et immolé par le feu avec une sauvagerie et une cruauté inouïe. En fait, ce crime d’une rare violence est un acte prémédité et pervers savamment orchestré et dont les objectifs évidents sont :

  • isoler la Kabylie du reste du pays,
  • provoquer la Fitna (discorde) et la vengeance,
  • inciter à la confrontation entre Algériens,
  • casser le formidable élan de solidarité national sans précédent.

Cette horrible et déchirante tragédie a été commise sous les regards des policiers qui détenaient pourtant la pauvre victime dans leur propre véhicule dans l’enceinte même du commissariat.

Ces derniers, arguant les risques d’enflammer la population qui aurait eu recours aux émeutes n’ont même pas fait usage de tirs de sommation ni même tenté de récupérer la victime des mains de ses ravisseurs et lui assurer la protection.

Le pauvre jeune homme est honteusement livré et abandonné à la vindicte de quelques énergumènes en mission commandée qui ont commis froidement leur sale et immorale besogne.
Très vite la rumeur s’est propagée et les semeurs de haine ont développé une campagne de dénigrement, de calomnies et de divisions à l’endroit de la Kabylie.

Mais, c’était sans compter sur la vigilance des Algériennes et des Algériens et le courage et la sagesse du père de Jimmy, car son triste sort aura vite détruit les velléités des commanditaires et des auteurs de sa tragique disparition en agrégeant plus les Algériens autour des valeurs humaines telles que l’union, la fraternité, la solidarité, l’empathie, le respect, le pardon…

Votre analyse de la situation actuelle des partis politiques, de la société civile, des médias… Ɂ

Si, pour les partis politiques proches du pouvoir et de l’administration le ciel est au beau fixe et bénéficient donc de tous les soutiens et largesses, il n’en n’est pas de même pour les partis politiques de l’opposition qui subissent les pires contraintes et sont soumis à des opérations de déstabilisation.

Il en est de même pour les associations de la société civile malheureusement exposées à la vindicte de l’administration à travers une réglementation sclérosante, l’octroi de subventions dérisoires et diverses injonctions et manipulations.

Quant aux médias, la disparité est la même. En effet si la plupart des organes de presse écrite, est rentrée dans les rangs, les quelques titres dits « indépendants » subissent le dictât de l’administration par le biais des entreprises d’impression détenues par l’Etat, les difficultés de distribution, la censure et autres blocages et tergiversations.

En conclusion, nous dirons que le plan machiavélique des ennemis du peuple a lamentablement échoué grâce a la maturité et à la vigilance des Algériens.

L’apocalypse programmé n’aura pas eu lieu, la diabolisation de la Kabylie, fleuron de la résistance s’est révélée être un échec cuisant, tout cela grâce aux victimes, militants du devoir, de la solidarité et de la lutte politique et pacifique. Mais aussi grâce à Noureddine Bensmail, le père de Jimmy qui a fait montre d’une grande lucidité et d’une remarquable bravoure pour éteindre les feux de la guerre fratricide.

Propos recueillis par KLC

SIWEL 301615 SEP 2021