Aux sources de la chasse aux Kabyles

HISTOIRE (SIWEL) — En ce XXIe siècle, le sentiment « anti-kabyle » n’est pas près de se tarir. La source de cette haine remonte loin dans le temps. L’Histoire de la Kabylie souffre d’un manque manifeste de documentation historique sur de grande période. Mais nous disposons aussi de documents qui permettent de mieux comprendre ce qui a modelé l’identité nationale de ce pays. Un pays que l’on fait passer de nos jours pour une simple région. Et pour cause, on évite soigneusement de se référer à la période moderne qui contredit toutes les thèses allant dans ce sens. Certaines thèses allant jusqu’à faire croire que la Kabylie dite du Jurjura n’existe en tant que telle que depuis le fameux congrès de 1956. Oubliant ainsi que le territoire de la IIIe zone fut imposé par Krim bien avant le 1er novembre 1954. Un bandit d’honneur, précoce maquisard, qui n’a fait qu’imposer des frontières forgées tracées par le sang kabyle et qui semblent peu ou prou les mêmes depuis plus de deux millénaires.

Aux sources de la chasse aux Kabyles

À Alger, la « chasse aux Kabyles » remonte au XVIe siècle. Ces véritables « pogroms » étaient le lot commun des Kabyles à Alger pendant l’Histoire moderne de la Kabylie (1510/1833). De la prise de Begayet en 1510 jusqu’à celle de 1833 par la France.

La première dont nous avons une trace historique indéniable date de 1527. Une année noire pour la Kabylie. À cette époque-là, Ahmed I de Koukou cumule le titre de roi de Koukou et celui de souverain d’Alger. Sans compter le statut très envié de chef de guerre de quasiment tous les kabyles. Un statut auquel peu de personnes ont pu prétendre dans notre histoire. Son adversaire du moment, Kheireddine Barberousse débarque à Dellys et remonte le Sebaou pour attaquer Ahmed Ou El Kadi. Avertit, celui-ci coupe la route aux Turcs et campe sur le Col At Aïcha. Durant la nuit, il est assassiné dans sa tente. Les Turcs n’eurent pratiquement pas à combattre. Pour le malheur de la Kabylie qui perd en lui, un des plus grands chefs de son histoire. Barberousse rentre en triomphe à Alger. Les Kabyles y sont traqués et persécutés. Ils sont contraints de fuir et n’ont d’autres choix que de regagner leur pays.

1544-1551, 1557-1561, 1562-1567. Trois périodes où l’alliance entre Koukou et Alger permet de petits âges d’or économique. Après chacune de ces périodes de règne, Hassan Pacha est contraint de quitter Alger à plusieurs reprises (complots, rappel de Constantinople etc). Alger n’a jamais été aussi prospère que dans le respect et la bonne intelligence avec son voisin kabyle. Et cela permet d’établir une économie prospère. Mieux encore, à son retour en grâce en 1562, c’est la jonction des forces entre les ports (Alger, Dellys, Jijel, Begayet) qui permet à ces deux Etats d’établir un droit de passage en méditerranée. Seule la France n’a rien à craindre étant donné son alliance avec l’Empire ottoman. Mais aussi trois périodes à l’issue desquelles les Kabyles sont contraints de regagner leurs montagnes à chaque fois. On devine aisément pourquoi. À chaque fois, les Kabyles sont harcelés, contraints de partir. Quand ils ne sont pas tout simplement chassés. Cet exode forcé des Kabyles plonge à chaque fois Alger dans la décadence.

1575, la fameuse garde d’élite kabyle ou zouaoua crainte tant par les Algérois que les turcs rétablit le Sultan du Maroc sur son trône. C’est une période où seuls les kabyles sont en capacité de maintenir l’ordre. Et 1795, Haïder Pacha en appelle à la protection des kabyles pour rétablir l’ordre à Alger. Ce dernier craint pour sa vie et la sécurité des kouloughlis qui sont de mères kabyles. Les désordres sont instaurés par les janissaires et les Maures (berbères arabisés d’origine andalouse). Haïder Pacha n’a confiance que dans les Kabyles, réputés fiables et aux qualités administratives indéniables. C’est ce qui vaut aux « qbaïl » une guerre sourde et sans relâche. L’année suivante, les Kabyles font un coup de force contre Alger. Ils assiègent la ville pour obtenir réparation des préjudices matériels et moraux fait aux kabyles. Les relations diplomatiques avec la Kabylie sont glaciales.

De la chasse à la guerre aux Kabyles

Au XVIIIe siècle, la Régence d’Alger ne se contente plus de chasse aux Kabyles. Le royaume de Koukou n’est plus. Et loin de se contenter de son entente avec les Iboukhtouchen, elle affiche une volonté manifeste de coloniser la Kabylie. Le siècle est traversé par une série de conflits entre Alger et la Kabylie. Les plus emblématiques de ces conflits furent deux guerres.

L’une contre le caïd turc surnommé « Adebah », beau-frère des Iboukhtouchen et nommé Bey du Titerri et l’autre contre l’ensemble des États voisins. En 1755, le Bey au surnom « d’égorgeur » suscite un soulèvement généralisé de la Kabylie. C’est de cette époque que date semble-t-il les grandes délibérations réaffirmant la souveraineté du Droit Kabyle. « L’égorgeur » crut bon de s’en prendre aux arbres fruitiers et aux récoltes. Et erreur fatale, il s’est aventuré sur le territoire des At Frawsen et At Iraten. Il trouve la mort sous leurs coups de ces derniers la même année. L’arrogant caïd a réussi plus que tout autre à se mettre à dos toute la Kabylie, de Jijel à Bordj Menaïel, y compris sa belle-famille. C’est l’âge d’or des toutes puissantes ligues fédérales de Kabylie.

En 1767/69, il y a même une guerre généralisée contre la Kabylie. C’est la période où la Kabylie rejette ouvertement la Chariaa et a proclamé depuis quelque temps déjà la souveraineté du Droit kabyle. Alger, Oran et Constantine lancent l’ensemble de leurs forces contre la Kabylie. Cette guerre fait des milliers de morts de part et d’autre. Mais c’est la Kabylie, extrêmement bien organisée au niveau politique et militaire qui en sort victorieuse. Démontrant non seulement sa force, mais sa suprématie au sein de Tamazgha centrale. Rappelant en cela la période 1954/1962. Toutes les offres de paix d’Alger et de ses vassaux d’Oran et de Constantine sont rejetées. Les Turcs renoncent à leurs velléités de colonisation. Et ordonnent à l’ensemble de leurs administrés de ne point froisser les Kabyles. Alger va jusqu’à supplier les At Qaci de faire entendre raison aux At Sedqa et aux Iguechtoulen. Ces deux Archs parmi les plus belliqueuses du Jurjura sont déterminées à en finir coûte que coûte avec la Régence. Mais les leaders du Haut Sebaou, armés d’une infinie patience, finissent par leur faire entendre raison…

De la chasse aux Kabyles à la chasse aux juifs et At Mzab

La régence d’Alger, janissaires et maures compris n’ont plus les moyens de se payer des « chasses aux Kabyles ». Il en va de la survie de la Régence. En revanche, les Juifs qui ne sont pas originaires de Kabylie et les At Mzab sont des proies faciles. En 1805, ce sont ces derniers qui font les frais du mécontentement ottoman. Alger est confrontée à une famine et les Juifs et At Mzab en sont rendu coupables. Il s’ensuit ce qu’on peut qualifier tout simplement de véritable pogrom. Les Juifs et les At Mzab sont contraints de fuir Alger. Busnach est exécuté à bout portant par le turc Yahia et trainé dans les rues par la population. Le Bey est lardé de coup de couteau. La chasse aux Juifs est ouverte, accompagnée de celle des At Mzab. Ils quittent tous Alger dans la plus grande précipitation.

Les Kabyles échappent cette fois-ci à ce genre de « pogrom ottoman ». Tout simplement parce qu’ils sont protégés par la proximité de la Kabylie. À cette époque de plus en plus de Archs à la frange d’Alger se « re-kabylise ». Elles décrètent tour à tour leur indépendance et intègrent les puissantes ligues fédérales de Kabylie. Ce mouvement se renforce et continu jusqu’en 1830 (Amraoua, Isser, Flissas etc…).

Mieux encore, la Kabylie inflige à la régence et à ses alliés humiliation sur humiliation. C’est justement pour venger l’humiliation que les At Jennad ont infligée au Dey d’Alger en 1824 qu’aura lieu une chasse aux Kabyles dans les rues d’Alger. En 1824, les At Jennad demandent une rançon au Consul Général des Etats-Unis pour libérer l’équipage de la goelette dite The Harriet. Devant la puissance kabyle, la régence ottomane est obligée d’avouer à la face du monde son impuissance. Et se sont les Kabyles d’Alger qui en font les frais. Les ambassadeurs et consuls des puissances étrangères sont inquiets pour leur personnel d’origine kabyle. Malgré la mésaventure de l’équipage de The Harriet même le Consul Général des Etats-Unis est concerné. Ils organisent tous la fuite de leur personnel vers la Kabylie.

Conclusion

En ce début de XIXe siècle les archs parfois seules ou au sein des ligues fédérales ressortent quasiment toujours vainqueurs de tous les conflits. La Kabylie pense sérieusement à en finir avec les désormais indésirables ottomans. Mais la France débarque à Sidi Ferruch et ne laissera pas à la Kabylie ce plaisir. On peut qualifier ces « chasses aux Kabyles » de véritables « pogroms anti-kabyles ». Au XXe siècle, l’histoire du nationalisme est marquée par de nombreuses purges kabyles. Ce fut le cas avec le MTLD de Messali Hadj. Ce fut le cas aussi de ceux qui furent qualifiés de berbéristes par le FLN et qui furent éliminés pendant la guerre de libération. Et surtout entre 1963 et 1965. Mais la plus emblématique fut sans doute celle du printemps noir de 2001. Un temps qui a vu la Kabylie s’insurger à un niveau national contre de tels sentiments anti-kabyles.! Dans l’Histoire, que serait-il advenu des Kabyles sans la protection de la Kabylie ?

Une autre question se pose aussi à nous. Au fond, la chasse aux nationalistes kabyles ne serait-elle pas tout simplement une chasse aux kabyles tout court ?

Salem At Seyd
SIWEL 190904 Feb 17

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